Quand cesse la culture du profit
page 9 <<<<< page 10 >>>>> page 11

 

 

 

6. Un enseignement qui reflète tout notre système de pensée rationnelle et ses failles, dans un cadre éducatif qui fait souvent défaut

 

Si l'on regarde du côté de l'enseignement, tout le système repose sur la pensée rationnelle. On en est encore à donner la priorité aux mathématiques, aux sciences, aux langues, à l'histoire (presque uniquement celle des vainqueurs, des dates, et des frontières), voire dans les options : aux langues mortes, à l'art, à l'économie. Mon propos n'est pas de nier l'intérêt et l'importance de ces matières. Mais cette importance est relative. Non seulement car il y a des apprentissages plus essentiels et préalables qui ne sont tout simplement pas enseignés, et même pas envisagés de l'être, mais également, car ces matières ne sont pas indispensables pour tous.

Car il est considéré que l'enfant reçoit, via l'éducation de ses parents, tout l'apprentissage nécessaire pour devenir capable de gérer son corps, sa communication, ses relations, ses émotions et ses pensées. Or, nous en sommes très loin. En tout cas pour la majorité des enfants. Car nous ne sommes pas tous égaux devant l'éducation, et dans les faits, actuellement, peu de parents ont reçu une éducation dans ces domaines, et sans l'avoir reçue, ils sont dans l'incapacité de la transmettre et même de songer utile de la transmettre.

Mais partons d'abord de l'éducation, celle donnée par nos parents.

Historiquement en Europe, un certain type d'éducation était transmis de génération en génération, comprenant les règles de politesse et de conduite et donc de communication de base, très souvent des valeurs chrétiennes très précises, y compris les règles liées aux dogmes et rites de la religion, ainsi que des bases plus culturelles concernant l'hygiène, l'alimentation et autres moyens de gérer le quotidien et la santé. Et dans des milieux plus privilégiés l'éducation pouvait aller nettement plus loin au niveau culturel, via l'apprentissage du "savoir vivre", de la langue maternelle et d'autres langues, de l'actualité, de l'art, etc.

1968 a été une période charnière. On a fait sauter des tabous, on a dénoncé des injustices, et on a mis au placard toutes les règles obsolètes qui emprisonnaient la jeunesse dans une conformité dénuée de sens. Mais on est allé si loin dans le processus qu'on a évacué aussi une part de l'éducation et des règles qui permettaient de respecter les valeurs sociales les plus essentielles. On a acquis de la sorte de nouveaux droits, plus de liberté, plus d'accès à la créativité. Et c'est tant mieux. Mais on a aussi créé des contre-références par rapport à la mentalité que l'ont tentait de quitter, dans des aspects tels que : "interdire d'interdire", "liberté d'expression sans limites", "haro sur le politiquement correct", "halte à la censure".

La provocation et la subversion viennent ainsi remplacer les tabous. On est passé d'un extrême à l'autre, au point d'obtenir des modes qui consistent à faire l'opposé de ce que l'on faisait auparavant. L'anticonformisme fait sa loi. Et les excès ont été expérimentés dans tous les domaines : les drogues, le sexe, les nouveaux genres musicaux, les nouvelles spiritualités, et toutes les expériences de vie communautaire (mouvement hippie). On est en partie "revenu" des expériences à l'excès dans ces domaines, mais sans trouver toujours un juste équilibre.

Et dans la foulée, en voulant faire sauter les règles trop dures du passé, et les dérives qui en découlaient ; on a cessé de transmettre les règles les plus essentielles à nos enfants, tout en développant le concept d'enfant roi, sans trop en mesurer les conséquences. En supprimant les règles on a voulu que l'enfant découvre par lui-même ce qui est bon pour lui, dans le respect d'autrui. Mais trop souvent sans trop savoir comment le guider sur ce chemin, et plus souvent encore en démissionnant de notre rôle d'éducateur. Et dans certains cas, on a fini par donner à nos enfants tout ce que nous aurions voulu recevoir quand nous étions petits, dans nos fantasmes propres à cet âge. Les enfants de la génération post 68 n'ont dès lors plus eu tous les repères nécessaires pour atteindre la maturité ou sagesse de l'âge adulte. Et ils ne peuvent que léguer à leurs enfants, ce qu'ils connaissent, c'est-à-dire une éducation pauvre en valeurs et limites. Je force le trait bien sûr, et ce n'est très certainement pas généralisable, mais toutefois très répandu. Car ces aspects peuvent être observés dans de nombreuses situations. Et faute d'éducation, les références sont alors trouvées sur le net, à la télévision, sur les réseaux sociaux. Et ce ne sont généralement pas les meilleures.

Un exemple caricatural à ce sujet est l'éducation sexuelle. Dans le passé l'éducation sexuelle était pratiquement absente, et remplacée par des tabous et interdictions : pas de sexe avant le mariage, et basta. Actuellement, excepté l'un ou l'autre cours, donné occasionnellement, un peu de la même manière que l'on fait occasionnellement l'une ou l'autre visite culturelle avec l'école ; c'est plutôt la référence pornographique qui, pour bien des adolescents d'aujourd'hui, fait office d'éducation sexuelle qu'ils reçoivent trop rarement ou de manière trop minimaliste par leur parents ou à l'école, et bien souvent déconnectée de toute la sphère affective.

Et si vous ignorez la réalité de ces films ou refusez d'en reconnaître la teneur destructrice, n'hésitez pas à regarder la petite conférence TEDx de Maria Ahlin, « Let’s Talk Porn » (en anglais, 17’38’’ - 2019), qui en détaille pas mal d'aspects sans obliger d'être confronté à devoir regarder les images en question :

[voir Ref 11 : https://www.youtube.com/watch?v=DBTb71UzPmY] Mieux vaut pas d'éducation sexuelle que cette éducation-là.

On peut aussi citer les aspects psychologiques néfastes indirectement enseignés par les médias actuels : la manipulation par toutes les techniques publicitaires et de marketing, le voyeurisme et l'exhibitionnisme via la télé-réalité, le harcèlement via les réseaux sociaux et les lynchages médiatiques dans une certaine presse, la violence via les films et séries télévisées ainsi que via les jeux vidéos, l'esprit de compétition, le rapport de force et le nationalisme via les spectacles sportifs et le commerce qui en est fait, ainsi que l'importance du statut, l'attrait de la richesse, la domination masculine, en filigrane via tous les domaines précités.

En quelque sorte, notre société actuelle travaille dans la direction opposée de celle d'une éducation de qualité. D'autre part, le temps que les parents consacrent à leurs enfants diminue dans de très nombreuses familles. En ce sens que beaucoup de parents manquent totalement de temps pour en consacrer à leurs enfants ; parce que les deux parents travaillent, parce que les familles sont recomposées ou monoparentales, ou encore parce que le smartphone, la télévision et l'ordinateur prennent le pas sur les moments d'interaction dans la famille, etc.

Et à ce type d'éducation lacunaire, vient se greffer un enseignement qui n'apporte pas forcément beaucoup de clés aux enfants pour devenir adultes. Car l'enseignement est bien moins destiné à aider les jeunes à devenir des personnes adultes qui savent se débrouiller dans la vie, socialiser positivement, et se réaliser, qu'à entrer dans une case "profession", apprendre à obéir, apprendre à se conformer, et donc à devenir des citoyens moutons qui suivront les règles, et se tairont, avec pour compensation un salaire qui permet le confort, la consommation et la surconsommation, et des loisirs commerciaux basés sur les plaisirs faciles assez éloignés de la réelle convivialité et des relations humaines chaleureuses.

Je ne suis pas en train de dire que tout cela est intentionnel, mais c'est le poids du passé qui n'a pas encore été éclairé par la réalité d'aujourd'hui. Un peu de la même manière que l'église catholique met un temps immense à se nettoyer des abus de pouvoirs, abus sexuels, et consorts (la femme restant encore et toujours absente de toute la hiérarchie ecclésiastique : de quoi se poser de sérieuses questions).

Les prises de conscience se font encore extrêmement lentement, freinées par une multitudes de dénis, qui sont eux-mêmes la conséquence du fait que ceux qui tentent de réformer l'enseignement, ont été eux-mêmes formés et conditionnés par les principes implicites que ce dernier véhicule.

Seules les facultés logiques et linguistiques sont favorisées par ce système scolaire, et l'on fait fi de la créativité, de l'intuition, de la curiosité, de la spontanéité, de la dextérité, de l'importance de la communication saine, de la psychologie, et tout simplement des dons de chaque enfant ; au point même de faire redoubler l'enfant quand il rate dans ces branches reconnues comme utiles, sans même tenter de chercher à développer les dons qui lui sont propres.

Ces autres aptitudes et apprentissages sont bien mentionnés dans les programmes, mais sont sensés être développés transversalement à travers les cours classiques, sans trop de détails pour y parvenir ; ce qui signifie le peu d'importance qu'on leur accorde. De plus tout le système est basé sur des apprentissages théoriques qui font très peu appel à de la pratique, à des applications du quotidien.

Et tout cela se fait dans un contexte de rapport de force bien plus important que nécessaire. Les méthodes d'enseignement alternatives, rien que par leur existence, prouvent que ce n'est pas nécessaire. Tous les profs n'abusent pas de leur pouvoir, tous les profs ne crient pas sur les élèves, tous les profs ne distribuent pas à foison des punitions, mais cela reste encore bien présent, et toléré dans l'enseignement. Et par là-même le rapport de force est inculqué comme incontournable.

Et si une bonne partie du contenu scolaire a pour objectif indirect de préparer à se préparer à une profession ; dans la réalité, ce contenu ne sera plus jamais utilisé par les plupart des élèves une fois qu'ils auront quitté l'école.

Pourtant, on ne cesse de vouloir réformer l'enseignement fondamental, mais on garde toujours les mêmes cartes : cours de langues, de maths, de sciences, d'histoire, ... On persiste à enseigner aux enfants et adolescents, des contenus hautement théoriques qui sont très loin de leurs besoins actuels et futurs, et très loin des aspects plus humains.

A quoi sert d'apprendre le raisonnement mathématique : sinus, cosinus, tangente, logarithme, équations ; alors que nous n'avons même pas appris le b.a.-ba pour simplement penser sainement ?

A quoi sert d'apprendre la langue en tant que véhicule de la communication ainsi que la communication au niveau de l'orthographe, de la grammaire, de la syntaxe, de la poésie et de la littérature, via l'apprentissage de la lecture, de l'écriture, de la rédaction de résumés, d'analyses, de dissertation , .... ; si l'on n'apprend pas à communiquer sainement simplement entre individus, avec notre entourage : à exprimer clairement nos pensées, à écouter, à faire des demandes, à exprimer nos besoins, nos désaccords, à résoudre des différends, à respecter nos interlocuteurs ?

A quoi sert de connaître les sciences, le tableau de Mendeleïev, les lois de la physique ou la composition de la cellule, l'anatomie du corps ; si ces théories sont déconnectées de la réalité de la vie réellement vécue : alimentation, santé, hygiène, schéma corporel, … ?

Pareil pour l'apprentissage de l'histoire, de la géographie, de l'économie, dans un contexte de démarche scientifique, théorique, d'objectivité, où le rationalisme transpire à tous les étages.

Toutes ces matières ne devraient pouvoir être envisagées que lorsque les aptitudes pour vivre correctement, sainement, et en harmonie avec notre entourage humain et non humain seront intégrées. A savoir : la gestion des pensées, la gestion des émotions, la communication relationnelle, la gestion du corps (alimentation, sommeil, hygiène, santé, exercice, sexualité).

Nous avons là l'illustration presque idéale de la citation de Einstein précitée :

« La manière de penser qui a généré un problème ne pourra jamais le résoudre »

Personne ne songerait envoyer un enfant qui ne parle pas encore et ne marche pas encore, à l'auto-école. De la même manière, nous devrions choisir de léguer à nos enfants, des savoirs de première nécessité avant de leur inculquer des savoirs que la toute grande majorité d'entre eux n'utiliseront plus une fois sortis de l'école, ou qui ne servent qu'à préparer à un monde du travail économique, administratif, académique et ouvrent la voie à tous les bullshit jobs.

Et plus les premiers apprentissages seront intégrés, plus faciles seront les apprentissages suivants. Car les apprentissages de la communication, de la gestion des pensées et des émotions, vont jouer un rôle majeur pour la gestion du stress, la gestion du temps, la confiance en soi, la motivation, et même la concentration et la qualité de mémorisation.

Mais surtout, si ces apprentissages de base sont intégrés, ils permettront un meilleur enracinement dans la réalité, une intégration sociale plus harmonieuse, une forte diminution de la violence et une augmentation inverse de la capacité à l'empathie. Et ils pourront former un réel rempart face à toutes les dérives que nous connaissons. Et c'est bien parce que nous sommes incapables d'imaginer l'importance des bouleversements que produirait une telle éducation, un tel enseignement, à un niveau collectif, que nous restons à traîner avec nos vieux schémas, reproduisant systématiquement ce que nous avons toujours fait, et de plus en plus incapables d'en gérer le résultat.

Tant que nous n'avons pas nous-même compris la nécessité de transformation au niveau psychologique et entamé ce processus de changement, nous ne pourrons comprendre la nécessité de changer de paradigme et nous continuerons à faire comme on a toujours fait, tout en léguant à nos enfants les mêmes modes de fonctionnement qui les amèneront à reproduire l'histoire, à fonder toutes leurs références sur l'esprit cartésien et les jeux de pouvoir, et à transmettre cela à leurs propres enfants.

La pandémie, et ses confinements successifs, ont prouvé en partie ces aspects en quelque sorte. Car lorsque l'on a arrêté l'école et que l'on a dû songer à enseigner à distance, les seuls objectifs qui étaient visés, étaient de poursuivre l'enseignement des différentes branches habituelles, sans tenir compte de tout l'aspect socialisation, de l'apprentissage par la coopération, et du divertissement pour l'enfant ou l'adolescent ; ni des apports autres que représente l'école lorsque l'enfant vit dans une famille dysfonctionnelle, dans la pauvreté, ou s'il présente un déficit, un handicap ou une maladie.

L'objectif était surtout de ne pas prendre de retard dans les programmes scolaires, sans être trop intéressé par le bien-être des élèves, ni par les apprentissages connexes que propose la scolarisation.

Une étude en démontre indirectement les conséquences. Contrairement au titre de l'article qui la présente, à savoir : « Le Covid-19 est "accélérateur d'injustices et bourreau des droits de l'enfant » ; je pense que ce n'est pas tant le covid-19 qui est responsable de telles dérives, que nos conceptions elles-mêmes de l'enseignement, qui persistent à se cantonner à apprendre les diverses matières classiques : maths, sciences, langues, histoire, géographie, etc. :

[Source : https://www.rtbf.be/info/belgique/detail_le-covid-19-est-accelerateur-d-injustices-et-bourreau-des-droits-de-l-enfant?id=10636517].

Par contre, c'est bien la pandémie et ses conséquences qui ont permis de commencer à mettre en évidence ces lacunes dans nos conceptions.

Si l'enseignement pur et dur peut se faire à distance en utilisant les possibilités de l'internet, il est aussi possible de créer via internet les autres aspects scolaires, et même au delà, pour mettre en contact les enfants, leur apporter du divertissement, favoriser la vie de groupe, la communication et la coopération entre élèves. Je ne peux pas non plus prétendre dire que : "il n'y a qu'à" ; car ces enjeux ne sont certainement pas simples à mettre en place par simple connexion à un ordinateur. Cependant, rien ne laisse entrevoir dans l'actualité, que de tels objectifs aient été ne fut-ce que envisagés. Or ces capacités, elles, seront bel et bien utilisées encore à l'âge adulte, et elles déterminent immédiatement le bien-être de chaque élève ; ce qui n'est pas le cas de l'apprentissage des matières classiques.

Vous n'avez pas idée à quel point j'ai des doutes par rapport à ce que je viens d'écrire sur l'enseignement. Je n'ai lu nulle part d'opinion similaire aussi radicale et ignore si d'autres partagent celle que je viens d'exprimer. Et je me rends compte à quel point une telle remise en question de quelque chose qui semble acquis par tous, peut être choquante.

Cependant, j'ai conscience aussi à quel point nos enfants et nous tous, manquons de repères dans notre éducation pour la simple gestion du quotidien : nous relationner constructivement, gérer notre corps, notre santé, nos émotions, notre mental, connaître nos besoins et savoir comment les satisfaire sans nuire aux autres ou à l'environnement.

Arrivés à l'adolescence et à l'âge adulte, notre bagage est bien maigre pour savoir gérer notre vie amoureuse, devenir parents, et savoir comment éduquer nos enfants. Nous le faisons à l'instinct, en reproduisant grosso modo ce qu'on a reçu soi-même, ou en fonction de ce que l'on a trouvé dans nos lectures, au cinéma, à la télévision, sur internet, ou via d'autres sphères d'influences pas forcément recommandables. Mais pourriez-vous me dire à quoi sert dans tout ça : le théorème de Pythagore, le tableau de Mendeleïev, la théorie de la relativité, la date de la bataille de Marignan, les déclinaisons gréco-latines - pour ne citer que quelques-unes de ces notions et matières qui jalonnent notre parcours scolaire ? Et quel est le pourcentage des élèves qui feront usage d'un tel savoir dans leur parcours professionnel ultérieur ? En quoi tout cela peut-il les aider dans le futur à vraiment subvenir à leurs besoins, à se défendre des abus, du harcèlement sur le net, des influences de la publicité ou de contenus culturels néfastes, de la manipulation et des arnaques, et de ne pas devenir soi-même manipulateur, abuseur, agresseur, malhonnête, harceleur, etc. ?

Comment cela va-t-il les préparer, pour les hommes, à respecter les femmes, et pour les femmes, à ne pas avoir à subir la domination masculine ?

En quoi seront-ils préparés à traverser des échecs, des deuils, des maladies, la solitude et la panoplie de revers que la vie ne nous épargne jamais de devoir traverser ?

Nous passons 12 ans de notre vie, pour la majorité des heures de la journée, et pour la majorité de nos journées, à écouter et intégrer des savoirs et à les retranscrire sur papier, voire sur écran, sans vraiment savoir pourquoi.

Et quand, à 30, 40, 50 ans, nous nous trouvons dans la mouise, dans des impasses, dans les doutes, nous avons déjà oublié depuis belle lurette la plupart de ces apprentissages, à moins qu'ils ne soient restés au fin fond de notre mémoire pour ne jamais être appelés à refaire surface. Et les quelques bribes de savoir qui en général peuvent réellement nous être utiles (éducation physique, morale, éducation citoyenne, cours de technologie ou d'algèbre, ou encore de sexualité, d'apprentissage à gérer les médias ou la publicité, ...) ; sont en général plutôt considérés comme annexes, voire carrément anecdotiques pour certains. Et le passage de classe ne sera pas fonction de la réussite dans ces domaines.

Et concernant l'aspect finance, sauf quelques cours anecdotiques eux aussi, nous n'apprenons pas à gérer notre argent. Nous n'avons absolument pas connaissance du rapport qui existe entre les professions et les niveaux de salaire qui y correspondent. Nous n'avons aucune donnée de connaissance sur la manière la plus efficace et sûre d'épargner, et sur l'éthique qui se trouve derrière les produits financiers et les mécanismes bancaires. Et au moment de devoir choisir de possibles études supérieures ou directement un métier, nous n'avons également pas grand chose en mains excepté une conférence ou l'autre d'une université nous proposant ses contenus, plus à la manière d'une publicité, et à nouveau de façon plus aléatoire et annexe au tronc principal. De la même manière, les professions et études ne nous sont pas présentées en fonction des besoins de la société ou du coût des formations qui y préparent.

Ce qui précède a été écrit entre 2018 et 2021, et fait donc en partie fi de la réforme en cours dans l'enseignement fondamental francophone en Belgique. J'ignore ce qu'il en est dans d'autres pays.

Pour avoir parcouru très rapidement quelques bribes des nouveaux référentiels entrés en vigueur en 2022 :

[Source : https://www.rtbfmedia.be/rtbfinfo/referentiels/index.html], je me rends compte que des changements sont en train de commencer à apparaître. On retarde certains apprentissages, on rend d'autres plus concrets, on ajoute de nouvelles matières plus utiles. Mais dans l'ensemble, si le changement devait réellement être apporté, il faudrait que chaque instituteur refasse quelques semaines ou mois d'études pour être en mesure de donner ces nouveaux cours avec compétence. Comme cela ne semble pas être prévu, ils vont apprendre sur le tas, et sans doute donner le minimum vu les efforts démesurés qu'ils doivent fournir en plus de leur travail pour se mettre à jour.

De plus, le glissement qu'opère cette réforme de l'enseignement, reste assez minime par rapport à tout ce que j'ai décrit ci-dessus. Certaines matières ajoutées risquent en plus de s'ajouter dans la liste de celles qui sont loin d'être essentielles, comme l'éducation à l'art, à la culture, à l'économie, etc. On aurait pu imaginer des cours liés à la créativité (qui concerne bien plus que le domaine des arts), aux savoir-faire liés à la gestion du quotidien (culture culinaire, hygiène, alimentation, jardinage, relations sociales, ...) car je crains que la culture envisagée soit celle que nous offre la littérature, la télévision, le cinéma, les musées, les guides touristiques, le folklore ; qui n'est autre qu'une culture camembert (référence au jeu Trivial Pursuit) très éloignée d'un apprentissage de vie, et qui ne sert en général qu'à épater la galerie quand on en est bien pourvu (une fois encore une affaire de statut et de reconnaissance publique). Et en ce qui concerne l'économie, cela consiste à transmettre cet ensemble de savoirs et de règles qui régissent notre économie capitaliste (qui favorisent les riches, piègent les pauvres, et n'ont rien de moral, ni même souvent de logique, et n'ont finalement pas grand chose à voir avec la gestion d'un budget domestique, ou à l'épargne personnelle et ces choses-là - voir à ce titre la vidéo sur les ristournes proposées aux riches, et les dettes créées pour les pauvres « C’est cher d’être pauvre », film de François Rola et Philippe Lagnier, (2010) -

[voir Ref 27 : https://www.youtube.com/watch?v=uQhrhREiUp0]).

Quant aux cours de base tels que les maths, les sciences, langues anciennes, ... ils sont toujours là, avec un peu moins de place. Le changement advient, mais donc à pas d'escargot. Dans 50 ans peut-être aurons-nous un tout autre enseignement.

Certains prétendent que l'enseignement est principalement orienté à nous préparer à une vie professionnelle plutôt qu'à notre vie tout court. Mais cela n'est qu'une demi vérité. Et quand bien même cela devait être le cas ; rien n'est fait pour nous préparer à nous orienter vers des études et métiers utiles à la société. Lors de la pandémie et de la fermeture de la plupart des commerces et autres activités de la société, des acteurs de la vie culturelle comme les musées par exemple, tentaient d'exiger de pouvoir ré-ouvrir (en Belgique) en justifiant qu'eux aussi faisaient partie des services de première nécessité. De la même manière, dans le monde culturel et artistique, de nombreux professionnels s'avèrent juger leur métier essentiel à la société, trouvant aberrant la fermeture des théâtres, cinémas, salles de spectacle, etc. dans le cadre de la pandémie.

Quel est donc le contenu de notre éducation qui a amené de telles professions à se croire indispensables à ce point ? Et cela d'autant plus qu'à l'heure actuelle, l'existence du net, des vidéos, mp3, epub, etc. donne l'accès quasi universel à une culture très large qui ne dépend plus d'eux.

Car tout de même, revenons les pieds sur terre : quel est le pourcentage de la population qui va au théâtre, ne fut-ce qu'une fois par an ? Et si le théâtre n'était pas subsidié, qui accepterait de payer le prix réel de ces représentations ? On nous dit que la culture fait évoluer et est essentielle, mais de quelle culture parle-t-on, quand on sait que seul un mini pourcentage de la population en bénéficie ? Et que cette population, si elle est effectivement culturellement élitiste, et financièrement plus riche, n'est pas forcément plus évoluée que le reste de la population.

En quoi le divertissement clé-sur-porte est-il indispensable ? Quels sont nos souvenirs les plus chers et qui nous ont fait le plus évoluer ? : ceux où nous étions acteurs de la culture, en jouant, chantant, débattant, nous rendant socialement utiles, en pratiquant une activité de groupe, en voyageant, en rencontrant d'autres personnes, d'autres modes de vie ; ou ceux auxquels nous avons assisté passivement assis dans un fauteuil ? Qu'est-ce qui fait plus évoluer un jeune : participer à un camp de jeunesse où toute l'animation est crée par les participants eux-mêmes ; ou passer ses vacances dans un club de vacances avec plages, discothèques, visites organisées et consorts ?

Malgré mes doutes je me permets d'aller bien au-delà du sujet de ce chapitre lié à l'enseignement orienté sur l'esprit rationnel et la théorie. D'une certaine manière, une fois que l'on sort des rails et des certitudes qui nous enchaînent : les remises en questions se bousculent au portillon et viennent questionner absolument tous les sujets. Un déclic en entraîne un autre, et c'est la totalité de notre configuration mentale, morale, psychologique qui se voit ébranlée.

Revenons donc au sujet de la rationalité pour passer au chapitre suivant.

7. La fiabilité relative du raisonnement scientifique de l'expert - un regard sur le réchauffement climatique

 

Dans les médias, les journalistes nous présentent régulièrement des informations en faisant appel, pour les étayer, à des personnes de référence dans leur matière : experts, spécialistes, professeurs d'université, ... Chaque média choisit ses références et fait régulièrement appel à elles. Pourtant, ceux que l’on qualifie d’experts, ne proposent pas toujours les meilleures informations.

Tout d'abord les experts et spécialistes ne sont qu'une étiquette, mais cela représente malgré tout une population très diversifiée. Les uns sont des dirigeants d'entreprises, les autres, des académiciens très spécialisés, d'autres encore, des gens possédant une compétence pointue dans un domaine, d'autres encore brillent plus par leur forme de sagesse, d'intuition, d'intelligence, de créativité, d'autres encore permettent les mises en perspective par les connaissances transversales.

Ensuite, il n'est pas rare que des experts différents présentent des interprétations divergentes, parfois contradictoires, d'une même réalité. Et chaque média choisira l'expert dont la tendance lui convient le mieux. Mais le plus souvent, on omettra de communiquer qu'il s'agit d'une interprétation, parmi d'autres, de la réalité. Et cela sera plutôt présenté comme "la vérité". Alors que la réalité est bien souvent composée de vérités diverses, selon la fenêtre au travers de laquelle on la regarde et l'interprète.

D'autre part, il arrive également que l'expertise déclarée d'une personne, ne soit pas forcément une garantie de sa compétence, même si on nous la présente comme tel.

A cela s'ajoutent les conflits d'intérêt, lorsque certains experts sont payés par des multinationales, ou associations qui défendent directement ou indirectement des intérêts financiers et que dès lors la teneur de leurs discours se doit d'être alignée sur celle de ceux qui financent leurs recherches.

Ensuite, on peut également mentionner l'existence des biais de raisonnement, des biais de conditionnement ou culturels. Ou encore l'influence sur le discours que peuvent avoir les peurs, les addictions, les refoulements, les dénis, les oublis, les distractions, la complaisance, la lâcheté et parfois aussi les haines inavouées et la violence. Les experts ne sont eux non plus pas épargnés et ne dérogent donc pas à ces influences qui vont colorer et parfois dénaturer leur propos.

Et si l'on regarde les aspects plus sociologiques et psychologiques : nos problématiques humaines, quelle qu’en soit l’échelle sont très loin de pouvoir être objectivisées. Seuls certains aspects peuvent être mesurés, comptés et faire l'objet de statistiques pour mener à des conclusions partiellement scientifiques. Il est impossible de retirer l'aspect interprétation personnelle de la plupart des recherches qui touchent à l'humain et aux systèmes dans lequel il s'inscrit.

Et à cela s'ajoute que, même lorsque l'on reste dans les sphères scientifiques plus exactes, si l’attention est trop concentrée sur la recherche d’objectivité, d'aucuns se refusent à admettre certaines réalités, car elles ne sont pas assez prouvées, fiables, référencées, répétables, … .

J'aimerais illustrer cela via l'exemple du réchauffement climatique, où, se référer à des experts est crucial et indispensable pour aider à mieux comprendre le phénomène d'une part, mais malheureusement, aide aussi à ne pas réagir assez vite pour en diminuer les conséquences d'autre part. Et c'est là le plus gros piège que représente la démarche scientifique dans ce cas de figure.

En effet, jusqu'à récemment (2020 -2022), régulièrement dans l’actualité, alors que des catastrophes se multipliaient dans le monde, et que chaque jour on apprenait des faits nouveaux qui nous montraient à quel point on était chaque fois encore un peu plus près du gouffre ; chaque expert interviewé y allait de son commentaire pour dire que l’événement du jour ne pouvait pas être imputé au réchauffement climatique : car le faire sur base d’éléments partiels, ou non répétés dans le temps, manquerait d’objectivité. Et la répétition fréquente dans les médias de ce genre de conclusions a pour conséquence, qu’à force, rien de ce qui arrive comme catastrophe ne peut être directement imputé au réchauffement climatique - excepté des années plus tard, quand on est capable de tirer des statistiques sur la multiplications de ces événements. Ainsi, on insuffle la tendance à croire que le réchauffement climatique est quelque chose de possible et lointain et non de certain et déjà très concret. Dans ce contexte, les responsables de tous bords, continuent à se reposer sur leurs lauriers, et la majorité des citoyens ne s’en émeuvent pas non plus dans leur vie de tous les jours. Une telle approche finit par avoir un aspect fortement irresponsable.

De plus, certains scientifiques vont même jusqu'à ne pas tenir compte de faits dont on ignore encore les données chiffrées, presque comme si cela n’existait pas.

De manière très concrète, par exemple, les rapports du GIEC qui se succèdent par intervalle de plusieurs années sont chaque fois plus alarmistes. Des scientifiques interviewés ont confirmé qu’en 2014 on ne disposait pas d’autant de données, et que les pronostics n’auraient pu être exacts. Pourtant, actuellement nous sommes exactement dans la même situation : nous ne disposons pas encore non plus de toutes les données qui sont en lien avec le réchauffement climatique. Dès lors, nous aurions peut-être intérêt à faire varier le discours, en étant capable d'envisager de penser que dans quelques années les connaissances de la problématique seront plus affinées et permettront de montrer que la situation est beaucoup plus grave que ce que l’on nous présente aujourd’hui. Or, déjà actuellement, certains scientifiques se risquent à nous annoncer un désastre - cf. l’article de l’Agence Belga publié par la RTBF « La planète bascule vers un désastre irréversible, avertissent les scientifiques », (2019) :

[Source : https://www.rtbf.be/info/societe/detail_la-planete-bascule-vers-un-desastre-irreversible-avertissent-les-scientifiques?id=10375957].

Même le Secrétaire Général de l'ONU Antonio Guterres l'exprime en ces termes « Delay means Death » (« Postposer c’est mourir »), ou plus récemment « L'ère du réchauffement climatique est terminée, place à l'ère de l'ébullition mondiale », afin de secouer les consciences. Et il n’est clairement pas entendu.

[Source : https://www.rtbf.be/article/climat-extinction-rebellion-veut-rendre-viral-le-cri-dalarme-du-patron-de-lonu-10947804]

[Source : https://www.rtl.be/actu/monde/international/lere-du-rechauffement-climatique-est-terminee-place-lere-de-lebullition-mondiale/2023-07-27/article/573034]

Pour faciliter la compréhension de la vitesse de réchauffement de la planète, et nécessité de bousculer rapidement nos habitudes pour y réagir, voici une animation ultra-courte (24’’) :

« CarbonBudgetBucket », du Global Carbon Project, qui ne laisse aucun doute sur la rapidité du phénomène – entre 1870 et 2019 - et permet de mieux saisir le non sens de ne pas réagir plus rapidement:

[voir Ref 12 : https://www.globalcarbonproject.org/global/multimedia/CarbonBudgetBucket.mp4].

Et pour en revenir aux scientifiques du GIEC, ceux-ci représentent 195 états ; soit 195 conditions géographiques et climatiques différentes et 195 directions politiques différentes. De la sorte, ils ne peuvent qu'exprimer le plus petit dénominateur commun des résultats de leurs études respectives.

Tout ceci ne doit pas nous amener à vouloir faire fi des données scientifiques, ou exclure l'avis d'experts, bien au contraire. Mais cela veut surtout dire qu’il faut se rendre compte que, dans pas mal de domaines, les prévisions sont loin d'être fiables par le fait même que l'on attende des preuves pour les effectuer. Et cela vaut particulièrement concernant le réchauffement climatique. Car le risque que tout ce que l’on nous annonce actuellement ne soit que pacotille par rapport à ce qui va arriver très prochainement ; ce risque est loin d'être nul. Et c’est sans compter les effets d’emballement qui commencent déjà à être mesurés, et qui vont se cumuler et pourraient rendre la situation encore bien plus explosive qu’on ne peut l’imaginer.

Pour mieux illustrer le propos, voici un article de septembre 2023, proposé par Antoine Binamé sur le site de la RTBF, et qui, pour la première fois, laisse entrevoir que ce que nous vivons déjà maintenant dépasse ce que l'on nous a calculé pour les décennies à venir :

[Source : https://www.rtbf.be/article/20-ans-separent-les-modeles-de-projections-climatiques-de-la-realite-comment-expliquer-un-tel-decalage-11254623]

Ce que je tente d'exprimer au travers de l'exemple du réchauffement climatique, concerne aussi d'autres dénis comme pour la cigarette et l'amiante, par exemple. Et dans le cas du réchauffement climatique, il s'agit d'un déni au regard de la gravité et de la vitesse d'emballement du processus.

Les experts ou scientifiques, dans ce dossier, ont très souvent une longueur de retard, et dès lors n'écouter qu'eux sans capacité de se projeter dans l'avenir est naïf et destructeur.

Les spécialistes, les scientifiques, les experts, sont les as du déni dans de nombreux cas, et ils nous les affirment avec tant d'aplomb, de paternalisme, voire d'autoritarisme, que l'on se sent vite tout petit, et qu'on ne tient pas à répliquer. Mais on a alors tort.

Je le répète, mon propos n’est pas de mettre en doute la qualité des recherches scientifiques ou les compétences des experts en général, mais il me paraît essentiel de ne pas baser nos raisonnements uniquement sur ce qu'ils peuvent nous transmettre.

Les limites de "l'expertise" sont assez palpables dans le cadre du réchauffement climatique. Mais cela vaut pour tous les domaines.

L'existence des contre-expertises indique à quel point la fiabilité des expertises est toujours questionnable.

Dans certains cas, c'est bien plus le profil de personnalité, l'idéologie, l'expérience et la compétence de l'expert qui vont influencer le résultat de l'expertise que la rationalité dont il peut faire preuve. De plus, tout qui sort des sentiers battus, risque fort bien de sortir de l'appellation d'expert pour être nommé charlatan, même quand les compétences sont avérées et que la démarche reste rationnelle. Il ne s'agit pas non plus de nier l'existence de dérives et de manipulations. Mais dans les domaines de la psychologie, des médecines alternatives, par exemple, la méfiance est de mise dès que l'on quitte les références académiques ou les dogmes d'un ordre professionnel.

Et tout cela démontre à quel point la science avance au ralenti dans de nombreux domaines. Les théories scientifiques peuvent fonctionner sur le long terme, et en fonction de recherches nombreuses, massives, longues, coûteuses, répétées dans le temps. Sans compter que nombreuses sont les théories réfutées par la majorité des scientifiques pendant des décennies, qui finissent ensuite par être approuvées (ou inversement). La vie ne nous permet pas toujours d'attendre que les scientifiques aient fait leur travail sur le long terme, et finissent par se mettre d'accord sur un point de vue unique.

Il en va de même dans le domaine de l'économie et des finances. Les théories sur la décroissance sont majoritairement réfutées. La croissance, l'austérité et la technologie sont les seuls remèdes proposés pour faire face aux soubresauts de l'économie. Et tout qui remet en question l'enrichissement indécent des uns face à la pauvreté et la misère des autres est soit traité d'extrémiste, soit considéré comme marginal et est tout sauf écouté.

Plus généralement, l’idée n’est pas de réfuter tous les avis d’experts, mais d’être capable de se rendre compte que les experts appelés à s’exprimer le sont presque toujours pour venir confirmer les croyances de ceux qui font appel à eux ; et que d’un expert à l’autre, on peut parvenir à faire dire tout et son contraire et qu’il est nécessaire de toujours rester dans le questionnement, la vigilance, et la nuance face aux avis d’experts.

8. Notre incapacité à gérer correctement nos découvertes et inventions scientifiques

 

L’humanité est actuellement appelée à évoluer à une grande rapidité, en l’espace de quelques dizaines d’années, comparé à la lenteur de l’évolution qui a valu jusqu’au siècle passé, voire jusqu’au millénaire passé. Si l’on remet en perspective - par rapport à l’histoire et à la préhistoire - la mutation technologique de la société qui s'est produite depuis environ 200 ans, avec l’avènement de l’ère industrielle, en passant par l'ère de l’informatique à la fin du XXème siècle, et à présent celle de la robotisation, de l’intelligence artificielle et de la biotechnologie ; on comprend que la vitesse de notre évolution se produit en courbe ascendante. Et si l'on réfléchit un peu plus avant, on peut remarquer que les découvertes scientifiques et technologiques se sont développées de manière spectaculaire, mais que notre développement psychologique et spirituel a remarquablement peu évolué, voire même régressé pour certains aspects. Et c’est bien le retard pris à ce niveau qu’il va falloir rattraper très vite, très très vite, si nous voulons perpétuer notre existence. Il va probablement falloir stopper net la fuite en avant technologique, scientifique, informatique etc. Nous sommes allés beaucoup plus loin dans leur développement que ce que nous sommes capables de gérer. L'idée n'est ni de renier les progrès technologiques, ni de vouloir penser que "c'était mieux avant". Mais bien de se rendre compte que le décalage entre tout ce que nous inventons et développons à une rapidité exceptionnelle et notre capacité à gérer et comprendre cela collectivement est tout simplement énorme, et que l'échelle des dérives que cela génère est trop importante et totalement destructrice.

La conquête de l'espace en est un exemple frappant. Les vides juridiques permettent tout et n'importe quoi. Personne ne possède la Lune, pas plus que Mars, pas plus que les couches de l'atmosphère terrestre. Les milliers de satellites envoyés en l'air via le projet Starlink (42.000) et son concurrent Kuiper (plus de 3000) en sont l'exemple le plus frappant. Deux sociétés imposent ainsi leur loi autour de la Terre. Et des réglementations ne suivront que lorsque des dégâts importants seront connus, et reconnus par la totalité de ceux qui peuvent légiférer. Autant dire que les responsables (à la tête de ces projets spatiaux) ont le temps de voir venir et donc de poursuivre allègrement.

Le domaine des armes et de l'armement est un autre exemple, extrême cette fois, sur ce que l'humain est capable de développer... et d'utiliser. Que ce soit le port d'arme aux USA, la bombe nucléaire, les pistolets ou kalachnikovs, les canons, chars, tanks, bombardements "chirurgicaux", les mines anti-personnelles, bombes à sous-munitions, ..... - et c'est sans compter tout l'arsenal chimique et biologique, tout les équipements et personnels de l'armée et les budgets colossaux qui y sont dédiés - ; toutes ces armes ont bel et bien été inventées par des hommes (rem : et probablement par aucune femme)

Et le pire dans tout cela, c'est que ceux qui les inventent, les commercialisent, initient les guerres, développent les stratégies et envoient les soldats mais aussi des populations entières à la mort ou aux mutilations, ne sont jamais ceux qui seront touchés par une arme ou des traumatismes de guerres (les exceptions confirmant largement la règle).

En somme, parce qu'il en a la capacité matérielle, l'humain préfère tuer son prochain pour son propre bénéfice que le sauver de la mort pour le bénéfice de tous. Et il ne sert à rien de pointer certains responsables pour cela, car nous sommes partie prenante de ces enjeux. Nos pays (pays occidentaux) sont régulièrement impliqués dans des conflits armés, et pourtant, nous, les citoyens de ces pays, continuons à vivre comme si de rien n'était.

Lorsque le service militaire était obligatoire, les objecteurs de conscience restaient l'exception. Il est fort probable que ce serait encore en grande partie le cas aujourd'hui.

Remarque par rapport au concept de la guerre : Il est à noter que, si l’on considère que la violence est intrinsèque au comportement humain dans certaines circonstances : lorsque des émotions mal gérées entraînent des actes impulsifs agressifs et destructeurs ; les guerres, elles, n’ont rien d’impulsif. Elles sont planifiées. On forme les élites militaires à des stratégies. On légifère même internationalement à ce sujet. On implique donc la rationalité pour justifier l’odieux : tuer des innocents et de la chair à canon pour satisfaire les dirigeants en recherche de victoire. C’est donc une des pires utilisations de la rationalité et des sciences et une preuve absolue de l’incapacité de l’humain à se gérer alors qu’il a été capable de créer des moyens ultra-développés pour détruire. Je ne nie pas que la plupart des armées basent leurs stratégies bien plus sur la défense que sur l’attaque. Il n’empêche que les pays neutres ne font pas l’objet de convoitise armée et ne sont pas non plus considérés comme menaces et que la meilleure défense est de ne pas se montrer belligérant.

Pour en revenir à la recherche scientifique et au développement de certaines solutions technologiques, je précise qu'il ne s’agit pas de s’y opposer en bloc. Car certaines pourraient tout de même nous aider à nous sauver du désastre. Il s’agit plutôt de se rendre compte que l’utilisation de la science par les humains nous a jusqu’à présent mené à la catastrophe. Et que l’objectivité tant recherchée par les scientifiques n’a absolument pas freiné cette destruction. Et que, dans ce cadre, tant que l’humain n’évolue pas suffisamment, il faut s’abstenir d’aller trop en avant, et surtout dans n’importe quelle direction, et sans la moindre conscience des conséquences. Ce n'est pas la science ou la technologie qui doivent être remis en question ; c'est ce que l'on en fait, ou plutôt notre incapacité à les utiliser collectivement de manière durable.

Et cela concerne tout le monde, car la recherche ou la découverte de l’un, finira toujours par être utilisée à des fins non éthiques par quelqu’un d’autre. Mais surtout, ce que nous découvrons et inventons aujourd’hui, dans la plupart des cas, nous n’en connaissons pas les effets sur le futur, exceptés ceux qui nous sont montrés par l’expérience d’aujourd’hui. Or si cela est directement commercialisé et généralisé, on ne peut plus ensuite revenir en arrière pour récupérer les dégâts. L'exemple parfait à ce sujet est celui du plastique. D’autant plus que ce sont les petites innovations, apparemment anodines, mais qui se multiplient par milliers et par millions, et qui toutes ensembles créent le désastre. La responsabilité de la dérive se situe donc déjà intrinsèquement chez celui qui oriente la première recherche s'il n'a pas la garantie des limites qui pourront être imposées à l'utilisation de cette recherche.

Si l’on regarde tout ce que l’on a pu créer à partir du pétrole, mais aussi toutes les conséquences vers lesquelles cela est en train de nous mener (réchauffement climatique, pollutions gigantesques par le plastique, zones mortes dans les océans, fuite en avant exponentielle de toutes les productions commerciales, épuisement des matières premières, guerres, ….), on peut se rendre compte qu’au bout du compte, le saut d’évolution phénoménal que cela a produit, n’est qu’un leurre. En ce sens, l’informatique, et à présent, la robotisation et l’intelligence artificielle pourraient ne faire qu’accélérer ce processus, tant que nous n’aurons pas la sagesse à l’échelle de l’humanité, d’orienter les recherches dans ces domaines, avec conscience.

Donc, tant que l’humain dans son ensemble n’aura pas sauté un pas dans son évolution, ce ne pourra être la recherche scientifique qui sera en mesure de sauver les meubles. C’est à un autre niveau qu’il faut chercher, sans pour autant dénigrer les possibles apports des connaissances et de la recherche scientifique. Car je ne pense pas non plus qu’il faille devenir réactionnaire et souhaiter un retour en arrière. L’important est de rester conscient que l’éthique et le niveau de conscience dans l’utilisation des sciences est quelque chose de fluctuant d’un individu à l’autre, et que, quel que soit le niveau élevé de sagesse des uns, tant qu’il y en aura d’autres très immatures, capables d’utiliser les découvertes des premiers ou de chercher eux-mêmes à innover de manière immature, on ne pourra accoucher que de catastrophes. Pratiquement toutes les avancées scientifiques et technologiques sont concernées. C’est par exemple le dilemme des scientifiques qui ont participé à la création de l'arme nucléaire sans en mesurer totalement les conséquences.

Et tant que nous ne devenons pas capables d’avancer tous ensemble pour le bien de tous, y compris le bien des autres espèces vivantes, nous diminuons notre potentiel de pouvoir nous perpétuer plus avant.

Et la clé de cette évolution est aussi liée à l’abandon des rapports de force implicites et nocifs qui régissent notre organisation sociétale, et ce, à tous les niveaux. 

S'éloigner de la rationalité fonctionne parallèlement avec le lâcher du rapport de force. Ce sont, d'une certaine manière, deux aspects d'une même réalité.

9. De nouvelles références pour guider nos choix

 

En nous éloignant de la prédominance de l’esprit cartésien comme référence pour nos choix, ce sont, petit à petit, toutes nos références, tous nos repères, et finalement tout notre contexte mental qui seront amenés à se transformer.

Rem : Pour éviter tout malentendu, je répète qu'il ne s'agit pas de refuser d'avoir recours à la rationalité, mais bien de ne plus la considérer comme source unique de pensée pour baser nos décisions, ou comme référence prioritaire parmi tous les autres modes de pensée dont nous disposons chacun.

Ce décalage de perception du contexte nous mettra dans une position où nous serons mieux à même de choisir de meilleures idées dans chacune des situations qui les nécessitent ; de celles qui seront applicables, qui porteront, qui mèneront à des succès durables. Et dans la pratique, nous parviendrons mieux à considérer nos échecs différemment, comme des opportunités de nous améliorer.

Cependant, le glissement à opérer ne réside ni dans la volonté de penser différemment, ni dans le raisonnement qui l’accompagne, mais bien dans la conception à la fois, de la situation, et de la manière d’évoluer dans cette situation.

Ce n'est donc pas tant la recherche de réponses à nos questionnements face aux aléas de la vie, qui importe, que le cadre de pensée dans lequel nous recherchons des réponses. Quand nous changeons ce cadre, les solutions s'imposent à nous automatiquement, elles deviennent tout simplement évidentes.

Et à l’inverse, quand nous persistons à baser nos choix presque uniquement sur base de la rationalité : via la recherche de l’objectivité, via les références à la science à tout prix, via la logique cartésienne ; et que nous faisons dès lors fi de nos sentiments, de nos émotions et intuitions ; nous augmentons tout simplement nos chances d’échouer, et/ou de persister dans les problèmes. C’est en réalité ce que l’on peut constater actuellement dans la lutte contre le réchauffement climatique et les destructions environnementales. Avec tous les effets rebonds, les recherches de nouveautés technologiques pour parer à la situation catastrophique que nous avons créée par la technologie elle-même ; nous ne faisons que nous enfoncer un peu plus, en persistant à réchauffer le climat, tout en produisant toujours plus de pollution, en raréfiant aussi les ressources, et en découvrant que les conséquences de tout cela se multiplient et s’aggravent.

Et c'est pareil pour la situation économique quand, par exemple, nous commercialisons des produits équitables qui viennent des pays du sud, mais qui sont des produits superflus pour nous, les gens du nord ; nous ne faisons que perpétuer un déséquilibre, une inégalité. De la même manière, quand nous nous impliquons dans la mode durable ; nous utilisons une production durable pour créer de l'éphémère, et en cela, nous restons dans la logique du passé. Quand les associations telles que #BlackLivesmatter demandent aux multinationales de ne plus faire de profit sur la haine (via l'arrêt de la pub sur les réseaux sociaux), elles continuent à prôner le profit, qui à lui seul produit toutes les dérives : inégalités, injustices, pauvreté, dont aussi la haine. Quand nous produisons des voitures électriques pour se passer des énergies fossiles, mais que nous les faisons fonctionner à l'électricité provenant des centrales nucléaires ou à charbon ; nous ne faisons que déplacer le problème, car le but n'est pas l'environnement, mais persister dans le profit, tout en tentant de faire paraître cela plus durable.

Or, mettre la logique de nos raisonnements en deuxième priorité reste quelque chose qui choque dans notre société.

Et il est nécessaire de l'expérimenter pour mieux en comprendre le bien fondé, et donc d'accepter de tenter l'expérience de fonctionner différemment, alors que l'on n'y croit pas encore.

La clé principale dans ce glissement d'attitude est de comprendre que la cohérence, l'efficacité, la durabilité, le succès et la reconnaissance de nos choix, sont nettement plus probables quand on arrive à vivre en fonction de son cœur plutôt que en fonction de sa tête. Les gens qui suivent leur cœur, ont en général une vie qui se déroule avec beaucoup plus de fluidité, beaucoup moins de préoccupations, etc. La rationalité se doit d’être au service du cœur.

Voici ce qu’en dit Satish Kumar dans le livre « Tu es donc je suis », (2011), Ed. Belfont :

« J’ai toujours considéré le rationalisme comme une forme de violence intellectuelle. Violence d’autant plus brutale qu’elle est inscrite dans sa nature même : dès qu’il est à l’œuvre, le rationalisme tranche, sépare, divise, isole. La rationalité a sa place dans notre vie, bien sûr, mais la société ne doit pas la mettre sur un piédestal. Comme le yin et le yan des taoïstes, le cœur et la raison doivent s’équilibrer, non s’affronter. S’il est tempéré par nos sentiments et nos intuitions, le rationalisme peut contribuer à l’émergence d’une culture fondée sur la non-violence, l’interdépendance et la compassion. S’il règne en maître, il mène droit à la violence. »

[Voir Ref 1 ou : https://www.lisez.com/ebook/tu-es-donc-je-suis/9782714450494]

La logique rationnelle est au raisonnement mental ce que le rapport de force est aux relations humaines. Et ces deux aspects se conjuguent parfaitement dans nos schémas de mentalité occidentaux. Le rapport de force est donc lui aussi à questionner.

C) LÂCHER LE RAPPORT DE FORCE

 

1. Introduction

 

Le saut d’évolution qui sera nécessaire pour révolutionner notre société ne pourra venir que de chacun des petits pions que nous sommes. Si les politiques, les médias, certaines technologies pourront y jouer un rôle, ils n'en seront pas à l'origine et ne seront que la conséquence d'une transformation de masse au niveau des individus. Et le pouvoir de l’argent y perdra sa place. Cette transformation est déjà en train de se produire. Chaque personne qui fait un pas dans son évolution, entraîne de facto le changement autour d'elle - cet aspect sera développé dans la dernière partie.

Et pour faire les bons choix vers les bonnes alternatives, de celles qui ne seront pas des leurres, des atèles sur des jambes de bois, des moyens nouveaux mais équivalents à ceux qui nous ont menés vers le désastre ; nous devrons véritablement décaler la perspective dans toutes nos conceptions de la réalité.

Nous l’avons vu dans les chapitres précédents, pour faire évoluer nos mentalités, il nous faudra rendre explicite beaucoup d’éléments encore masqués actuellement (tant dans le fonctionnement de la société que dans nos valeurs et comportements individuels). Il nous faudra quitter le déni – notre refus de voir et accepter la situation telle qu’elle est - mais aussi notre propre complaisance ou notre lâcheté face à cette situation. Et il nous faudra nous éloigner de la tendance à ne se fier qu'aux raisonnements cartésiens.

Mais l’aspect le plus important qu’il va nous falloir interroger, c’est le rapport de force qui mène la danse dans notre société, à tous les niveaux : entre nations comme entre individus, et à tous les échelons intermédiaires.

C’est le point crucial d'une mutation profonde de mentalité, et qui ouvre la porte aux réelles capacités à l’altruisme, à l’empathie, à la coopération ; qui ne sont alors plus des vœux pieux, mais se révèlent comme notre réelle nature. Une fois que nous comprenons la nécessité essentielle de choisir cette direction, commence alors le travail dans la pratique à effectuer sur un plus long terme, qui va nous permettre de parvenir à éviter, à la moindre menace, à la moindre frustration, de revenir à nos anciens schémas, nos vieux démons en quelque sorte.

Cet apprentissage ne peut être initié lui aussi qu'au niveau individuel avant de parvenir à être expérimenté sur une large échelle. C'est un travail assez lent et exigeant. Cependant il est facilité quand nos progrès sont partagés par nos pairs. Car il nous est alors permis d'avoir la confiance que les autres fonctionnent dans le même registre. Lorsque des groupes parviennent à fonctionner dans ce registre, et il en existe déjà, alors l'évolution est fulgurante.

Dès lors, plus nombreuses seront les personnes qui fonctionnent hors des registres des rapports de force, plus facilement et plus rapidement nous accéderons à une évolution des mentalités générale.

La nouvelle structure de la société vers laquelle cela nous mène, est à l'image de la toile internet et de la balance à plateaux. Et nous nous éloignerons de la structure pyramidale actuelle qui façonne notre société dans tant de domaines, et qui est vouée à s’écrouler comme un château de cartes.

Et le choix de l’image du château de cartes n’est pas anodin.

Dans le château de cartes, pour maintenir les cartes debout et construire la structure, il est nécessaire de les placer en opposition les unes aux autres. Chaque carte est maintenue debout par tout le poids de la carte qui lui est opposée, tout en reposant sur les cartes du dessous. Et ces oppositions superposées les unes aux autres, permettent la construction du château. En ce sens, quand on porte tout le poids sur la carte à laquelle on s'oppose, on la maintient debout. Psychologiquement, c'est pareil : s’opposer maintient en effet ce qui est. Les conflits ouverts maintiennent en quelque sorte les discordes. S'opposer a même souvent l'effet inverse de celui recherché ; en ce sens que, plus on s'oppose à un groupe, à une personne, à une idéologie, dans la société ; plus cela lui donne du succès.

Et ce principe fonctionne également lorsque l'opposition est presque inexistante, lorsque le dominé, d'une part, prétend dans son discours, refuser la domination dont il fait l'objet ; alors que d'autre part, il accepte dans les faits, de se soumettre au dominant. On l'a vu dans l'exemple des téléspectateurs qui se rebellent contre la politique du directeur de la chaîne qu'ils regardent mais qui persistent à regarder les programmes proposés par cette chaîne. Ou lorsque des utilisateurs de réseaux sociaux acceptent de rester membres alors qu'ils n'adhèrent pas à la politique de gestion de ces mêmes réseaux, et demandent à d'autres (les multinationales) de faire pression pour obtenir gain de cause (voir les paragraphes qui mentionnent cet aspect). Sans nous en rendre compte, nous sommes tous capables d'adopter ce genre d'attitude complaisante au quotidien. Il n'est alors pas très difficile pour les dominants de persévérer dans leur propre attitude, sans même, bien souvent, être vraiment conscients de l'aspect dominant de leur comportement.

Et dans nombre de situations, c'est même le comportement de soumission lui-même qui est à l'origine du rapport de force : un service rendu de manière récurrente peut finir par être considéré comme un dû par la personne qui en bénéficie. C'est en particulier visible dans le partage des tâches ménagères entre cohabitants, dans le couple ou dans certaines familles. Et cela se rencontre bien sûr dans tous les milieux professionnels. Celui qui prend l'habitude d'en faire un peu plus, va voir rapidement les autres se décharger de ces tâches sur lui. Et il aura beau rouspéter de cette injustice, une fois le pas pris, il sera très difficile de s'en défaire.

Et dans la plupart des rapports de force, le plus souvent inégaux, la situation se maintient dans le temps car chacun des acteurs qui y prend part accepte de continuer à jouer son rôle. Le dominant maintient le dominé sous sa coupe, et le dominé participe activement à sa domination, tout simplement en acceptant de se soumettre. En ce sens : tous les rapports de domination ne sont pas dictatoriaux.

D’une certaine manière, quand quelqu’un abuse de son pouvoir, tente de nous dominer indûment ; si nous ne sommes pas coincés dans la situation, et dès lors obligés de subir ce pouvoir injuste ou indu ; nous avons alors la responsabilité et même le devoir de quitter cette situation. Et pour reprendre l’image du jeu de cartes : si nous retirons nos pions du jeu, notre carte du jeu ; nous amenons la carte qui nous fait face à s’affaisser.

C'est en général nos peurs face aux enjeux qui nous empêchent de mettre nos limites ou de nous sentir libre ; car nous avons peur de perdre l'être aimé, l'ami, le travail, ou d'échouer aux études ou dans un projet. Or, si notre interlocuteur ou partenaire est correct, il acceptera notre nouvelle attitude et nous respectera. Et s'il ne le fait pas, peut-être que notre relation, ou notre projet, a intérêt à être remis en question. Ce n'est que dans les cas où nous n'avons pas la liberté de faire cette remise en question que nous n'avons que le choix de nous soumettre. Mais une fois adulte, nous disposons bien plus souvent de liberté dans nos choix, que nous ne l'imaginons, et nous pouvons acquérir certains moyens de se relationner et de communiquer qui permettent d'éviter, par la négociation, les situations de domination et de soumission.

Dans les situations où la négociation n'est pas possible ou fructueuse pour éviter le rapport de force ; si nous quittons de manière unilatérale ce rapport de force, en retirant notre carte du jeu, nous exerçons alors un pouvoir d’un autre ordre, mais un pouvoir qui se situe au-dessus de celui de la domination.

Si nous parvenons à quitter le jeu régulièrement pour éviter les jeux de pouvoir malsains, nous apprenons alors à mieux choisir les jeux dans lesquels nous entrons.

Et cela peu se produire à tous les niveaux, y compris au niveau des jeux politiques, et entre nations.

En tant que citoyen dans une démocratie, notre liberté est bien plus grande que dans notre couple, notre famille, nos relations amicales ou de travail. Et il ne s’agit pas de se rebeller face à l'autorité ou de boycotter quoi que ce soit. Il s’agit de choisir de tourner le regard vers les choses qui fonctionnent sainement, sans chercher à se confronter à celles qui ne fonctionnent pas correctement. Car le pouvoir de l’alternative n’est pas celui du rapport de force, il est celui de l’évolution, celui du cœur, celui de la créativité et celui de l’intelligence collective. Chaque désistement de notre système de société destructeur, remplacé par un engagement dans des alternatives constructives, est un pas de plus qui pourrait nous éviter l’effondrement et le chaos, car l’alternative pourra prendre le relais de tout ce qui sera appelé à disparaître.

Remarque : Précisons tout de même que lâcher le rapport de force ne signifie pas aller vers l'anarchie. Il ne s’agit pas de refuser l’autorité, la hiérarchie, le pouvoir, mais de progressivement, et en fonction d’une évolution des mentalités préalables, s’en éloigner et/ou les remplacer par d’autres systèmes de communication et de relation plus proches de ceux des réseaux, du consensus, de l’autonomie, de la démocratie participative, de l’intelligence collective, et de la solidarité.

2. Le rapport de force

 

a - En quoi consiste le rapport de force ?

 

Mais commençons tout d'abord par expliciter ce que l'on entend par cette expression.

Le rapport de force consiste à créer, tenter de créer, ou maintenir, dans une relation individuelle ou collective, une différence de statut entre les protagonistes. Que cela soit dû à l'âge, la couleur de peau, le genre, la culture, la religion, la richesse, une compétence, une faculté, un savoir, ou tout simplement une force physique ; le rapport de force met en concurrence ou génère la force chez les uns et la soumission chez les autres.

Le rapport de force se joue toujours au moins à deux personnes. Et chaque personne y joue un rôle.

Il n'existe que trois moyens pour éviter le rapport de force et donc éviter d'y participer : ne pas y entrer, le dissoudre, ou encore quitter la situation.

Si l'on reprend la métaphore du château de cartes, il s'agit de maintenir les cartes couchées, d'affaisser l'une des deux cartes, ou de retirer l'une des deux cartes du jeu.

Mais attention, il existe des chemins détournés pour tenter de déjouer un rapport de force mais qui, au contraire, l'inversent de manière plus sournoise.

En effet, lorsque nous n'avons pas de recours pour exercer une force suffisante face à des comportements de domination, si nous ne quittons pas la situation, ou ne refusons pas de coopérer à cette situation, et ne tenons pas à rester impuissant et soumis, il y a alors les alternatives moins franches mais pas plus constructives que sont : la lâcheté, la manipulation, la victimisation, voire la somatisation. Elles sont elles aussi des façons de rester dans le rapport de force même si elles sont rarement gagnantes.

b - Lâcher le rapport de force

 

Lâcher le rapport de force consiste lui, surtout, en un état d’esprit, une mentalité, qui permet dans les relations et les comportements, d'une part de cesser de se positionner face à autrui en tentant d’imposer sa volonté, soit de manière directe, comme concurrent, autoritaire, prédateur, dominant, soit de manière indirecte, comme abuseur, manipulateur. Ou à l’inverse, de cesser de se laisser abuser via la soumission et l'impuissance, voire la lâcheté, la complicité ou la complaisance ; en mettant nos limites ou en quittant la situation.

Et en parallèle cela permet de ne plus se mesurer, se comparer à autrui, de ne plus juger, et par là-même de ne plus s’adapter face aux jugements des autres ou à l’idée que l’on se fait de jugements sur nous.

Cela permet de diminuer la soumission et le recours à la coercition. La hiérarchie prend alors un autre visage. Cette attitude délestée de tout pouvoir dans la relation (recherche d'emprise sur autrui ou soumission à l'emprise d'autrui) peut alors se conjuguer avec la rationalité et la créativité pour parvenir à réaliser des projets, contourner des obstacles ou dépasser des désaccords, dans des groupes et populations, en fonction des capacités et de la volonté des acteurs qui y prennent part.

Nous sommes tous capables d'agir en dehors des rapports de force de manière intermittente. Mais apprendre à lâcher le rapport de force consiste à tenter de le faire de plus en plus souvent, et surtout dans les situations où nous étions incapables auparavant de concevoir de fonctionner hors des jeux de pouvoir et des cadres de l'obéissance ou de la rébellion.

Quand cette attitude est utilisée, alors, et alors seulement, un ensemble d'autres aptitudes deviennent véritablement accessibles : la coopération, l'intuition, la créativité, l’empathie, l’altruisme, l'intelligence collective, etc. En d'autres termes, cela peut se résumer à fonctionner avec le cœur. D'une certaine manière, dans notre culture, le fonctionnement dans le rapport de force est l'attitude prédominante, alors que l'attitude de cœur est subsidiaire, et n'est utilisée que là où l'on peut se permettre de "baisser la garde". Le rapport de force est directement un héritage de notre condition animale : la lutte pour la survie. Notre évolution peut nous mener à dépasser ce stade.

c - Nous fonctionnons dans le rapport de force comme nous respirons

 

Lâcher le rapport de force amène plus de liberté dans nos choix et comportements, et a pour conséquence l'épanouissement de la diversité, un accès durable à l’équité et à la solidarité, une plus grande humilité, ainsi que la possibilité d'établir une confiance solide et durable dans toutes les interactions et relations sociales. Et cette étape est tellement fondamentale, qu’y entrer consiste à basculer dans un autre monde.

Je pense vraiment que cet aspect est la pierre angulaire, le centre de gravité, pour que les transformations à tous niveaux puissent porter de réels fruits. Et ce n’est pas une mince affaire que d’y parvenir. Le rapport de force est encore actuellement à notre psychologie ce que l’air ambiant est à notre espace : invisible et pourtant omniprésent.

Tant que l’on n’est pas capable de regarder la réalité en dehors de ces schémas de fonctionnement, il est quasi impossible de comprendre qu’ils sont tous et quasi toujours, inadéquats et nuisibles.

Tous ces processus sont particulièrement peu conscients. L'expression "rapport de force" n'a pas de réel synonyme en français. Il y a énormément de mots qui impliquent sa présence, comme violence, lutte, conflit, opposition, domination, etc. L'expression la plus proche est sans doute le "jeu de pouvoir", mais est plus limitée dans le concept, bien que plusieurs usages différents existent, et le jeu implique également l'aspect possible de la manipulation. La pauvreté de vocabulaire pour exprimer un rapport de force démontre que notre conscience de ce schéma de comportement est encore très peu développée.

Et il est également assez étonnant que dans d'autres langues comme l'espagnol et l'anglais (mes connaissances actuelles se limitent à ces deux langues à ce sujet), il n'y ait pas d'expression qui corresponde tout à fait avec l'expression en français. En anglais on parle de "balance of power" (équilibre de pouvoir) ; ce qui s'apparente plus à un équilibre et éloigne l'aspect plus conflictuel, agressif ou violent. Et en espagnol on parle de "relación de fuerza" (relation de force), où la encore, en parlant de relation, on retire l'aspect conflictuel, agressif ou violent de l'expression.

Or notre langage dessine notre culture, ou inversement, la culture est imprégnée par les concepts que permet le langage.

Toute notre société est basée sur les rapports de force. Or la véritable richesse humaine, au stade d’évolution actuel de l’humanité, consiste à parvenir à quitter cet état d'esprit en conscience, c’est-à-dire, via tout un apprentissage, en arrivant à questionner tous nos comportements, toutes nos attitudes, toutes nos pensées, de manière à, pour chacun d’entre eux, choisir la voie alternative, celle de l’empathie.

Quand nous fonctionnons sur base de l’empathie, notre mental accède à de nouveaux raisonnements, notre capacité de choix s'élargit, nos attitudes évoluent, et cela nous rend apte à commencer à faire partie de la solution, à véhiculer une autre façon d’être au monde. Et ce glissement s'opère non seulement au niveau de la mentalité, mais également dans nos comportements et notre manière de communiquer, qui vont impacter tout notre entourage et peut-être bien plus. Cet impact ne sera pas purement intentionnel, ce sera surtout naturel. Et c’est là tout l’intérêt de ce travail sur soi, nous le verrons plus loin.

d - Les enjeux du rapport de force ou de son absence

 

Pour ne pas parler dans le vague, tentons de comprendre ce qui se cache derrière les comportements imprégnés par des rapports de force.

Il existe deux modes de fonctionnement, ou plutôt deux tendances. La première est relativement stable, et s'inscrit dans un schéma de domination des uns et de soumission des autres.

Il s'agit dans ce cas d'un rapport inégalitaire le plus souvent choisi par les uns, subi par les autres. On peut citer principalement la domination masculine et la domination des plus riches sur les plus pauvres. Ces deux dominations se déclinent de toutes les manières possibles et imaginables et sont, jusqu'à ce jour, implicitement acceptées par tout le monde ou presque, mais probablement que cela ne pourra plus perdurer très longtemps, car nous arrivons au stade de mieux concevoir les rôles de chacun et leurs conséquences.

D'autres rapports de force domination-soumission existent de manière plus explicites dans les familles, dans le système éducatif en général, et dans tous les systèmes qui fonctionnent avec une hiérarchie : entreprises, administrations, armées, systèmes politiques, judiciaires, etc. Il s'agit d'un type de relations inégalitaires où, d’un côté se trouve le pouvoir, l’imposition, et de l’autre la soumission, la punition, voire la récompense. A priori ces rapports de force sont sains et fonctionnent de manière plus ou moins heureuse, selon les cas. Car, malgré tout, ceux qui détiennent le pouvoir peuvent facilement être amenés à en abuser ; ce qui permet toutes les dérives que l'on connaît. Dans nombre de cas, pour ces rapports de force explicites, il existe des lois ou règlements qui vont en grande partie protéger de ces abus et dérives possibles.

Il existe deux pouvoirs qui fonctionnent à l’extrême dans le rapport de force de façon explicite et reconnue : le pouvoir militaire et le pouvoir judiciaire. Le premier exige une discipline sans faille du soldat jusqu’à payer de sa vie. Le second, travaille à faire appliquer les lois. Celles-ci étant coercitives ; qui y contrevient paye en argent ou paye de sa personne ou de sa liberté, en passant parfois par la case violence. Tout procès met en jeu, par définition, un combat verbal entre avocats.

L'autre tendance est celle où les forces sont plutôt comparables. C'est celle que l'on peut observer entre partenaires : dans le couple, entre frères et sœurs, entre amis parfois, entre collègues, entre entreprises, entre partis politiques, entre nations, ... Généralement, les partenaires ne fonctionnent pas en continu selon des jeux de pouvoir. Et selon le type de relation, plus ou moins heureuse, il sera possible que certains enjeux puissent être réglés dans un cadre plus marqué par la coopération, la communication, le respect, l'empathie, etc. Mais plus les tensions seront fortes, plus facilement chacun rentrera dans des comportements impulsifs, qui réduisent par nature les capacités à l'écoute et l'empathie et tendent à chercher à "imposer" son avis, "défendre" sa cause en priorité de manière directe ou insidieuse, ou à l'inverse à abdiquer de le faire. Notre éducation, notre expérience et notre volonté peuvent réduire ou augmenter notre propension à résoudre les différends de la sorte.

Et lorsque le pouvoir est fluctuant dans une situation de rapport de force, on est continuellement amené à se mesurer à l’adversaire, à être en compétition.

Si la résolution des désaccords ou conflits entre partenaires passent par le rapport de force, la plupart d’entre eux risquent de refaire surface un jour où l’autre. Car il suffit que le rapport de force soit inversé pour une raison ou une autre, ou tout simplement parce que celui ou ceux qui détiennent la force d’imposer à l’autre leur solution, perdent de cette force ; pour que le problème ressurgisse de plus belle. Le rapport de force, dans ce cas, exige énormément d’énergie, puisqu’il implique pour maintenir son équilibre, de garder la pression, le contrôle ou la coercition de celui qui l’exerce sur celui qui le subit.

Le présence de rapports de force peut également impliquer le recours aux mensonges, aux tromperies, aux fraudes, aux trahisons et manipulations. Car lorsque l'on ne détient pas la force physique, la force du nombre, l’autorité, le charisme, et que l’on n’accepte pas de se soumettre ; le pouvoir va alors être exercé par la stratégie, de manière masquée, insidieuse, déloyale. Et toutes les magouilles deviennent alors possibles.

Lorsque l'on commence à dépasser les désaccords et conflits via d’autres chemins que le rapport de force - il n’y a pas, à ma connaissance, d’autoroutes dans ce domaine - il devient alors possible de commencer à négocier, à chercher le consensus, à utiliser l’empathie, la non-violence, la médiation, la patience, la créativité, l’intuition, et sans doute encore d’autres voies… Seulement alors, de nouvelles solutions nous deviendront accessibles, et, une fois mises en place, celles-ci n’exigeront absolument plus qu’on maintienne un rapport de force. Le problème sera alors résolu pour de bon, et souvent, la relation avec la partie adverse se sera améliorée grâce à la découverte d’une solution qui satisfera tout le monde et qui fera s'élever le niveau de confiance entre les deux parties. C’est ce qui caractérise probablement les couples les plus solides : la capacité à dépasser les obstacles hors du rapport de force et qui fait alors grandir le lien.

Et non seulement le problème sera résolu de manière durable, mais il influencera ceux qui l'auront résolu pour leurs expériences futures, et il servira d’exemple et essaimera tout autour d'eux. Car cela aura un effet de contagion, que certains facteurs vont stimuler et qui vont permettre d'en accélérer la propagation de façon étonnante (voir à ce sujet le chapitre sur ces facteurs d’influence du changement). Et cet effet de contagion s'effectuera alors sur une large échelle, aussi rapidement qu'une mode, mais de manière durable. Non seulement car la menace d'un retournement de situation aura disparu (puisque le rapport de force n'interviendra plus), mais aussi car le niveau de conscience se sera élevé à un niveau supérieur.

Et sur un plus long terme, à un niveau mondial, il deviendrait permis d'imaginer pouvoir arriver à un stade où l'on serait alors capable de désarmer, laisser tomber les frontières, laisser tomber la compétition, faire chuter en flèche le travail des tribunaux, et sûrement encore bien d’autres avancées. Cela peut paraître lointain ou totalement utopique, et pourtant, nous n'en sommes peut-être plus si loin. Certaines entreprises, certaines écoles, certaines familles, certaines organisations, fonctionnent déjà dans ce registre ou tentent d'y accéder.

Cependant, dans un premier temps, quitter les rapports de force n'est pas affaire de décision mais un apprentissage long. Car réussir à régler nos différents sans faire appel à des jeux de pouvoir ne garantit pas forcément d'y parvenir dans des situations futures. Les rechutes sont légions. Nos automatismes, nos conditionnements, nos émotions et pulsions vont, pour chaque situation, détourner nos choix et faire revenir les rapports de force par la porte arrière. L'apprentissage pour dépasser cela nécessite d'être présent, beaucoup plus présent, afin d'être conscient de nos pensées et émotions, et de les gérer, afin d'être en mesure de choisir celles qui nous font avancer, et refuser celles qui nous ramènent à nos anciens modes de fonctionnement.

Toutefois, lorsque l'on fonctionne avec des personnes qui sont suffisamment loin dans cet apprentissage ; ces retours en arrière deviennent l'exception. Et c'est dans ce cadre que, lorsqu'un nombre suffisant de personnes auront effectué cette initiation longue et difficile, surviendra un basculement à large échelle où tout le monde profitera de l'expérience de certains.

Cependant, il ne faut pas se leurrer. Apprendre à quitter les rapports de force, alors que la majorité des individus y restent accros, nous boostent à retomber dans nos anciens schémas. C'est la raison pour laquelle cette initiation est extrêmement lente pour les premiers qui l'adoptent. Mais à l'inverse, cela permet d'anticiper que, plus ces comportements se répandront, et plus vite le bouleversement de mentalité se produira - en spirale ascendante - car il y aura de moins en moins d'occasions de retomber dans nos vieux travers. Et dès lors, chacun pourra commencer à quitter ses attitudes défensives, méfiantes, ou de retrait. Et il est difficile d'imaginer ce que l'on pourrait atteindre dans un très court délai.

e - La violence n'est jamais loin du rapport de force, la non-violence non plus

 

La violence n'est jamais loin du rapport de force. Le plus souvent, elle s'exprime indirectement ; non seulement sous forme d'agressivité et de force physique, mais aussi par le non respect de l'autre, via la mise devant le fait accompli, et via toutes les formes de manipulations, pressions psychologiques, chantage etc.

Et cela se passe en général d'inconscient à inconscient.

La non-violence, quant à elle, telle que considérée en Occident, est un concept qui est encore trop souvent imprégné de violence, dans la plupart des situations où il s'agit de "s'opposer" à la violence, de "lutter", "résister", pour obtenir "gain de cause", mais surtout de faire fonctionner un rapport de force.

Cela est exprimé, par exemple, très clairement dans la citation suivante :

Selon l’article de François Vaillant, « La non-violence, une force pour le 21e siècle », (2013) :

« L'originalité de la non-violence est de déjouer la répression en brisant la spirale de la violence. Les méthodes de l’action non-violente visent à créer un rapport de forces qui contraint l’adversaire à dialoguer, c’est-à-dire à négocier. »

[Source : https://www.eesc.europa.eu/sites/default/files/resources/docs/vaillant_non-violence_force_21e_siecle.pdf]

Les mots sont explicites : "déjouer" (ce qui n'est ici pas loin d'une forme de manipulation), "briser", "créer un rapport de forces", "contraindre".

La fin est belle. Les moyens ne le sont pas autant qu'on voudrait le laisser paraître.

C'est en tout cas ainsi qu'est considérée massivement la non-violence en Occident. Et, en ce sens, si elle est une manière nouvelle et alternative de résoudre les conflits, elle garde les mêmes références que celles des problèmes passés, à savoir : continuer à fonctionner avec le rapport de force. Et en ce sens, si le mode de pensée est légèrement différent, il ne l'est pas assez pour changer de paradigme. Je pense que Gandhi et Martin Luther King, concevaient la non-violence différemment, même si je n'en suis pas certaine.

La non-violence, telle que décrite ci-dessus, est bien souvent une demi-solution, ou en tout cas, elle comporte quasi autant de violence que ce qu'elle combat. Étant donné que, même si elle ne pratique pas concrètement cette violence à un niveau physique, elle la pratique indirectement à un niveau psychologique. Car le but de l'acte non-violent, par la résistance sans combat physique, et sans destruction, consiste malgré tout à s'opposer et à stimuler, voire provoquer la violence de ceux dont on veut faire fléchir les décisions. Il s'agit dès lors d'une violence plus insidieuse, qui sous des dehors très éthiques, et dans des objectifs constructifs, et souvent très efficaces, consiste tout de même à amener celui que l'on veut combattre à se battre tout seul, pour le couvrir indirectement de culpabilité, de honte, ou d'échec par le fait même que lui seul utilise la violence physique.

Cette non-violence s'exerce en général avec une attitude mentale relativement belligérante, avec beaucoup de hargne, dans un esprit conflictuel. Alors que la véritable non-violence ne peut s'exercer qu'avec le cœur. Pour réellement comprendre la non-violence - celle du cœur - je vous conseille la lecture du livre (déjà cité) « Tu es donc je suis » de Satish Kumar, (2011), Ed. Belfont -

[voir Ref 1 : https://www.lisez.com/ebook/tu-es-donc-je-suis/9782714450494]. L'auteur y parle sous forme autobiographique de la religion jaïne (dans la première partie du livre), qui propose une conception de la non-violence dans sa forme la plus pure.

La difficulté entre la non-violence dans son essence et celle qui est le plus souvent pratiquée, c'est que, tout d'abord, elles sont souvent confondues. Mais aussi que ceux qui pratiquent une non-violence incitant à la violence, prétendent souvent stimuler leurs actes avec le cœur, alors que lorsque l'on tente de stimuler de la violence chez un adversaire, on ne peut pas être dans un état d'esprit mené par le cœur.

Tiré du même document cité ci-dessus :

« Le but de la résolution non‑violente d’un conflit n’est pas d’humilier l’adversaire, mais de supprimer l’injustice qu’il entretient. Au terme d’un conflit régulé de manière non-violente, il y a bien un gagnant et un perdant, mais il n’y a ni vainqueur ni vaincu, car le gain d’humanité obtenu est à partager entre tous. »

[Source : https://www.eesc.europa.eu/sites/default/files/resources/docs/vaillant_non-violence_force_21e_siecle.pdf]

C'est là à nouveau une situation qui démontre l'importance du rapport de force dans cette non-violence. La vraie non-violence, selon moi, ne cherche ni à gagner ni à faire perdre. Elle accepte tout d'abord de perdre, dans certains cas. Elle est manifestée pour mettre une limite quand cela est possible. Et sinon, elle est utilisée par souci de cohérence et surtout par amour.

Si on veut avancer, évoluer, de manière durable et même définitive, c'est-à-dire, qui rend quasi impossible de revenir en arrière, c'est à un autre niveau que ceux de la violence, de la non-violence, de la résistance et du rapport de force ; qu'il nous faut apprendre à agir.

Et cela n'exclut pas non plus ces approches, car les cas extrêmes, les catastrophes imminentes, qui ne sont pas exceptionnels, imposent de réagir dans l'immédiat, ce qui permet rarement d'éviter totalement la violence. Mais plus loin nous aurons évolué dans un autre registre ; plus ces cas extrêmes vont se raréfier, jusqu'à ne plus se présenter. D'où l'importance d'agir au niveau des fondements de notre forme de fonctionnement mental et émotionnel.

page 9 <<<<< page 10 >>>>> page 11

 

 

Table des matières

page 1

Remarque préliminaire

INTRODUCTION

page 2

PREMIÈRE PARTIE : POSER LE PROBLÈME – QUE SE CACHE-T-IL DERRIÈRE LES MOTS DE L'ARGENT ET DU PROFIT

A) INTRODUCTION

B) RICHESSE ET PAUVRETÉ FONCTIONNENT PAR VASES COMMUNICANTS DE MANIÈRE SYSTÉMIQUE

C) L'ARGENT - LES RÔLES INDIRECTS ET DÉTOURNÉS QUI LUI SONT ATTRIBUÉS

1. Moyen de subsistance, et bien au-delà

2. La reconnaissance et son exploitation commerciale

3. L'argent n’est pas neutre – pouvoir et autres dérives

4. L’argent donne un statut

D) LE CONCEPT DE PROFIT ET LES VALEURS QUE CELA SOUS-TEND

1. Profit équitable ou profit abusif

2. L'indécence des dividendes - quelques données chiffrées

page 3

E) LES CONSÉQUENCES DU PROFIT ET DES RÔLES INDIRECTS DE L'ARGENT

1. Les conséquences matérielles de l'appât du gain

a - les dérives dans l'industrie : quand la fin justifie tous les moyens

b - Répartition inéquitable de l'argent - Les écarts de richesses

2. la classe la plus riche, de loin la plus destructrice

3. A l'autre extrême de l'échelle de la richesse, on meurt par millions, dizaines de millions, centaines de millions

4. C'est la richesse extrême des plus riches qui maintient la mortalité par millions des plus pauvres

page 4

F) LES CONSÉQUENCES DE L’APPÂT DU GAIN SUR LES MENTALITÉS

1. La survie ou l'avidité

2. L’argent corrompt et pervertit

3. La course pour grimper vers plus de richesses

4. La complaisance des consommateurs

5. La violence

G) LES CROYANCES IMPLICITES CONCERNANT L'ARGENT

1. L'argent doit être une ressource limitée

2. Il faut travailler pour gagner sa vie

3. Les gens riches sont plus heureux

4. La richesse se mérite, donc implicitement la pauvreté aussi

5. Il faut travailler dur pour bien gagner sa vie

6. L'argent gonfle tout seul

7. L'augmentation du coût de la vie, l'inflation, la dévaluation de la monnaie

8. Être riche ne nuit à personne

9. En économie, ce qui est légal est moral

10. L'économie c'est une science, complexe - il faut se fier aux experts

11. Ce sont les politiques qui détiennent le pouvoir

page 5

12. La croissance est bonne pour l'économie

a - Effet logarithmique de la croissance

b - Empreinte écologique et jour du dépassement

c - Démographie

H) LES PRINCIPAUX VÉHICULES DE LA CULTURE DU PROFIT

1. La publicité

2. Les médias de l’information

3. Les réseaux sociaux

4. Les médias du divertissement et en particulier, la télévision

5. La domination masculine

6. La culture et l'éducation

I) L'IMPLICITE ET L'EXPLICITE

J) CONCLUSION

page 6

DEUXIÈME PARTIE : PREMIÈRES IDÉES DE SOLUTIONS : Découpler le travail et l’argent – découpler l’argent du profit

A) INTRODUCTION

B) LES ALTERNATIVES QUI RESTENT A LA MARGE

1. Nous ne sommes pas encore prêts

2. Les solutions font encore partie du problème

C) ABANDONNER NOS CROYANCES SUR LA CROISSANCE, ET BOULEVERSER LA LOGIQUE DE L'EMPLOI

D) DÉCOUPLER TRAVAIL ET ARGENT - L'ALLOCATION UNIVERSELLE

1. Moins de travail à pourvoir

2. Créer la motivation à travailler

3. Conception du travail

4. Financement de l'allocation universelle

5. L'allocation universelle donnerait du pouvoir à ceux qui actuellement n'y ont aucunement accès

E) DÉCOUPLER L'ARGENT DE LA RECHERCHE DE PROFIT

1. Créer une économie qui n'est plus régie par l'argent

- Le rôle des initiatives citoyennes

2. Une seule initiative et l'effet boule de neige

3. Construction de la nouvelle tour

4. Quelques exemples de changements concrets à venir dans la société

a - La démocratie participative

b - Le pouvoir politique se transformera et reprendra du pouvoir face au pouvoir économique et financier

c - Bourse fermée

d - Disparition des impôts

e - Les entreprises démocratiques se multiplieront, voire se généraliseront

page 7

F) DIMINUTION DU RÔLE DE L'ARGENT

1. Evolution des mentalités

2. Le vrai rôle que devrait avoir l'argent

a - Réduire l'utilisation et le rôle de l'argent

b - Apprendre à échanger sans compter

c - La diminution de l'importance de l'argent dans nos vies

TROISIÈME PARTIE : LE CONTEXTE DU CHANGEMENT

A) AU NIVEAU POLITIQUE

B) AMENER LE VIRAGE POLITIQUE VIA LES MOUVEMENTS CITOYENS

C) BALANCE A PLATEAU : ALLER VERS L'ALTERNATIVE

D) NOS PETITS PAS INDIVIDUELS SONT CAPABLES DE GÉNÉRER DE GRANDES MARRÉES CITOYENNES

E) PROFILS DE CITOYENS : LES CONDITIONS POUR CHANGER

page 8

QUATRIÈME PARTIE : LE CHANGEMENT DU NIVEAU DE CONSCIENCE

A) INTRODUCTION

B) LA NÉCESSITE DE PERCEVOIR L'IMPORTANCE DE L’ÉVOLUTION INDIVIDUELLE D'UNE PART IMPORTANTE DE LA POPULATION

1. Qui est en premier concerné

a - Les plus riches

b - Les plus pauvres

c - La classe moyenne

2. De quel changement individuel parle-t-on : tout d’abord, dans le concret

a - La responsabilité d’agir même si on est seul à le faire

b - Et si la notion de goutte d'eau dans l'océan s'avérait totalement fausse ?

c - Cesser de leur donner du pouvoir

d - Liberté - autonomie - solidarité

3. Au-delà des modifications de comportements citoyens ou de consommateur : l'élévation du niveau de conscience

a - Conscience et information

b - Conscience et technologies

c - Conscience et solutions nouvelles

d - Dénouer les nœuds qui sont dans nos têtes

e - Changer la couleur de nos lunettes : changer notre mode de pensée

f - Bousculer l'édifice de nos croyances

g - Saut d'évolution de l'humanité

page 9

4. Dépasser les freins au changement :

a - Sous hypnose : nos doutes, notre passivité, notre conformisme, notre lâcheté

b - Syndrome de Stockholm

c - La difficulté d'aller à contre courant – la soumission à l’autorité de Milgram

d - Mettre des mots sur ce qui est implicite afin d’en éviter les incohérences

e - Quitter notre mentalité va nous faire peur

f - Le choix du pessimisme sous prétexte de réalisme

CINQUIÈME PARTIE : LES DEUX PILIERS PRINCIPAUX DU CHANGEMENT : Privilégier les raisons du cœur au raisonnement cartésien et lâcher le rapport de force

A) QUAND NOS SOLUTIONS MAINTIENNENT LE PROBLÈME TOUT EN LE RENDANT MOINS VISIBLE

B) PRIVILÉGIER LES RAISONS DU CŒUR AU RAISONNEMENT CARTÉSIEN

1. Introduction

2. Nous supposons à tort que toutes nos pensées sont rationnelles par essence (excepté dans la folie ou lors de certains dérapages)

3. Prendre notre rationalité pour seule référence , seul repère, comme seule valable, seule efficace, ...

4. Notre recours à la rationalité nous mène souvent en bateau : une atèle sur une jambe de bois

5. Une solution qui ne porte pas - toute rationnelle qu'elle puisse être - n'est pas une solution

page 10

6. Un enseignement qui reflète tout notre système de pensée rationnelle et ses failles, dans un cadre éducatif qui fait souvent défaut

7. La fiabilité relative du raisonnement scientifique de l'expert - un regard sur le réchauffement climatique

8. Notre incapacité à gérer correctement nos découvertes et inventions scientifiques

9. De nouvelles références pour guider nos choix

C) LÂCHER LE RAPPORT DE FORCE

1. Introduction

2. Le rapport de force

a - En quoi consiste le rapport de force ?

b - Lâcher le rapport de force

c - Nous fonctionnons dans le rapport de force comme nous respirons

d - Les enjeux du rapport de force ou de son absence

e - La violence n'est jamais loin du rapport de force, la non-violence non plus

page 11

f - Comment les rapports de force imprègnent toutes nos conceptions

i La mentalité basée sur le rapport de force

ii Notre incapacité à envisager les conflits en dehors du rapport de force

iii Une société de dominants et de dominés : le rapport de force est partout

iv La soumission

v La désignation d'un fautif

vi rapport de force et confiance en soi

vii rapport de force et libre arbitre

g - Comment les rapports de force définissent notre vie sociale et nos dépenses

i Les comportements, références et marqueurs sociaux résultants de la prégnance généralisée des rapports de force

ii Les sphères d’influence sociales, culturelles et commerciales

iii Rapport de force dans le cadre professionnel

iv Rapports de force et monde virtuel – école de narcissisme

v rapport de force et voiture

page 12

vi Rapports de force, consommation, et recherche de profit sont foncièrement et intrinsèquement liés

- les comportements de survie

- les comportements d'avidité

- notre complaisance

- les comportements de compétition

- les comportements d'exigence

- les comportements de défense de nos privilèges

- les rapports de force ne sont jamais loin de nos comportements de matérialisme et de notre cupidité

vii quitter le rapport de force mène à se désintéresser des richesses et de la consommation

h - Rapport de force à l'échelle collective

3. Connaissance de soi : notre part d'ombre

a - Introduction

b - Rapport de force versus empathie - les deux facettes de l'être humain d'aujourd'hui

i Ambivalence des comportements

- l'attitude face aux inconnus

- l'attitude face à l'entourage

- Un interrupteur dans la tête et l'apprentissage de stratégies pour y remédier

ii Le moment de bascule

- Face aux inconnus

- Face à l'entourage

page 13

iii On ne peut désinvestir nos pensées et émotions dites "négatives" uniquement par le simple choix de penser positif

iv découvrir les effets de l'interrupteur

v apprendre à gérer l'interrupteur

vi la gestion de l'interrupteur sur la durée

vii Accepter notre part d'ombre c'est accepter celle des autres

c - Le capitalisme exploite notre part d'ombre

d - La part d'ombre et le rôle des citoyens en transition

e - La part d'ombre et le rôle des crises

f - Facteurs favorisant ou non la propension à utiliser le rapport de force

i Tout d'abord, notre passé forge en grande partie qui l'on est : notre tempérament, nos conditionnements, nos blessures, nos tendances.

ii Ensuite, c'est notre situation du présent qui va aussi déterminer nos réactions face à l'adversité.

iii Niveau de conscience

g - Notre capacité à l'empathie dépend surtout de notre capacité à reconnaître ce qui nous en éloigne - l'altruisme des religions élude cet aspect

h - Evolution personnelle et déni de réalité

i Fuir totalement l'actualité nous fait perdre contact avec la réalité

ii Quand utiliser la loi de l'attraction devient magique

iii Évoluer dans un monde de bisounours

iv Évoluer spirituellement ne peut pas nous épargner d'adapter de manière intègre nos comportements à la réalité très concrète

page 14

4. Quitter le rapport de force - accueillir notre part d'ombre via un réel travail psychologique

a - L'étape incontournable : commencer par reconnaître notre part d’ombre

b - Part d’ombre et rapport de force

c - Parvenir à déjouer l'emprise négative de certaines de nos émotions et de leurs conséquences sur nos pensées et nos comportements

d - Les attitudes mentales à privilégier

i accepter

ii persévérer à demander

iii Faire évoluer les demandes et propositions en traversant les échecs, en apprenant de nos erreurs

iv Accepter dans certains cas la solution de l'autre qui ne nous satisfait pas, mais peut mener vers nos objectifs

e - Se mettre dans la bonne disposition d'esprit

i La détermination

ii L'absence d'exigence

iii L’absence d’urgence

iv Exploiter l’émotion sans agir sous son emprise

v Une forme de connaissance de soi

vi Le détachement

vii La présence de doutes dans la confiance

viii Le respect et la bienveillance absolue

page 15

f - Quand le rapport de force s’éloigne, l’empathie et la solidarité peuvent apparaître

g - Aller vers le cœur

h - Changer

i - Notre part d'ombre est notre alliée

j - La différence entre la compréhension et la conscience

k - Pour prendre de la perspective

SIXIÈME PARTIE : LES FACTEURS D'INFLUENCE DU CHANGEMENT

1. Deux mondes parallèles

2. Conscientiser, chercher à influencer : c'est se tromper

3. La réelle influence s'opère loin des discours

4. Notre rôle de colibri et son effet boule de neige

5. L’influence des médias de l’information

6. Le rôle des crises

page 16

7. L’éducation et l’enseignement – y compris le rôle qu’y joue le web

8. Le pouvoir de la minorité

9. Catalyseurs d’un autre genre

a - L'intelligence collective

b - Les neurones miroir

c - L’épigénétique

d - La contagion de l'altruisme

e - Les champs morphiques (ou morphogénétiques)

f - La transmission de toutes nos pensées et émotions

g - L'auto-contagion

10. Conclusion

VERS UNE UTOPIE NON DÉCONNECTÉE DE LA RÉALITÉ

- La métaphore du flocon

- Un dernier petit coup de pouce

ANNEXE Un détour par la théorie polyvagale

page 17

ICI COMMENCE LE DEUXIÈME VOLET DE CE LIVRE

RÉFÉRENCES

REMERCIEMENTS