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Cependant, adopter de nouveaux modes de fonctionnement (mentaux principalement) ne se fait pas sur simple décision, ni sur un claquement de doigt. Cela implique que beaucoup d’aspects de notre personnalité vont se voir contrariés, beaucoup de nos habitudes vont être questionnées, nos certitudes seront ébranlées. Notre confort mental, moral, psychologique va s’émietter. Nous risquons de nous confronter à notre entourage qui ne comprendra pas, et ne voudra pas nous voir adopter de nouvelles références et attitudes, mettre de nouvelles limites, émettre de nouvelles opinions, et il ne nous soutiendra très probablement pas. C’est donc tout sauf confortable. Beaucoup de facteurs vont donc jouer pour nous freiner dans cet apprentissage, le stopper, voire nous ramener à nos anciens modes de fonctionnement.
En fait, il est essentiel de devenir conscients que nous sommes partie prenante d’un système qui nous est imposé et qui nous est présenté comme étant juste. Et ses imperfections sont légitimées du fait qu'il est considéré comme étant l’unique possible, et qu'il est tellement complexe et ancien, qu'il est impossible de le substituer par autre chose. Et même si quelque part, nous savons bien que cela est faux ; face au fait que tout le monde adhère, il reste très très difficile de prendre le contre-pied. Nos doutes, notre passivité, notre désir de rester bien intégré, notre lâcheté, les bénéfices secondaires que nous en tirons, peuvent nous emmener très loin à continuer à suivre le courant général.
Joe Dispenza dans son livre « Devenir super-naturel », (2019), explique à plusieurs reprises que vers l’âge de 35 ans, nous n’avons plus qu’environ 5 % de nos pensées qui sont conscientes [Source : https://www.editions-tredaniel.com/devenir-super-conscient-p-7481.html].
Dans ces conditions, je n’ose imaginer ce qu’il en est à 60 ans. Le reste n’est qu’habitudes, automatismes, conditionnements, oublis, refoulements, etc. Cela ne nous laisse pas beaucoup de latitude pour faire des choix éclairés.
Rem : Cette notion chiffrée de 5% de pensées conscientes à l'âge de 35 ans est répétée par plusieurs auteurs. Mais aucun ne cite une référence basée sur une étude, une expérience ou quelque valeur statistique basée sur les neurosciences. Il faut dès lors considérer cela plutôt comme un concept nuançable. Toutefois, chacun peut facilement apprendre à observer sur lui-même la justesse de ce concept. La toute grande majorité de nos pensées surgissent de manière automatique sans même que nous y prêtions attention et il est rare que nous faisions le choix conscient de sortir de nos modes de pensée habituels pour choisir consciemment d'aller dans une autre direction qui ne soit pas dictée de l’extérieur.
Dès lors, tant que nous ne nous réveillons pas, et ne décidons pas de reprendre les choses en mains ; nous continuons à accepter de jouer à un jeu de dupes, et restons endormis sans pouvoir faire face à nos responsabilités, tout en croyant fonctionner lucidement, et maîtriser nos raisonnements et comportements, alors qu'ils ne sont que la répétition automatique de tout ce que nous avons appris dans notre vie et que nous n'avons, pour la plupart d'entre eux, jamais remis en question.
Et tant que nous restons aux prises avec ce jeu, nous allons persister à en suivre les règles minutieusement, et à chercher à faire partie des gagnants. Or, d’une certaine manière, ce jeu consiste à exploiter le pire de nous-même. Et si nous restons sous l’hypnose de nos conditionnements ; cela nous maintient dans la course pour gagner le gros lot, ou dans la recherche à ressembler à une idole qui fait encore pire que nous, ou à prendre les autoroutes de la facilité et du plaisir, ou tout simplement à suivre les normes pour ne pas susciter l'ostracisme ou l'acrimonie d'autrui. Ce jeu se décline dans notre quotidien sous bien des aspects : la mode, la course au statut, la surconsommation, le gaspillage, les addictions, les dérives des réseaux sociaux, l’abêtissement affectif via les télé-réalités et la plupart des productions cinématographiques main stream, la violence, et la lobotomie qu’opèrent toutes nos dépendances aux technologies de l’information, ou encore la revendication à la liberté sans limite de faire et dire ce qui nous plaît dans la totale insouciance des répercussions de nos mots sur ceux qui les reçoivent. Ces aspects sont les exemples les plus marquants. Avec comme corollaire, l’individualisme, le repli sur soi, et leurs conséquences que sont : le racisme et l'intolérance sous toutes leurs formes, la nationalisme, le populisme etc.
Accepter et adopter les règles du jeu, va nous entraîner à tenter de protéger nos privilèges, tout en cherchant à rester intégrés dans le tissu social, en nous battant pour garder un certaine position sociale ou pour en obtenir une meilleure. Nous allons nous laisser définir par la hauteur du diplôme, la taille de la voiture, la distance à laquelle nous partons en vacances, le renouvellement constant de la garde robe, voire aussi le nom des marques qui sont affichées en grand sur nos vêtements ; qui sont tous, les signes de notre statut, de notre pouvoir, de la taille de notre porte-feuille, mais qui finalement sont surtout, sans que nous le voulions : l’affichage de nos conditionnements et de notre degré de soumission à ce jeu de dupes. Tant que nous ne sommes pas conscients de ces aspects, nous ne pouvons que rester dépendants de cette société de consommation suicidaire. Car même si nous ne sommes plus, pratiquement, dans la survie, nous nous maintenons malgré tout dans des comportements de survie sociale pour rester intégrés parmi nos pairs.
Et ainsi, plus nous montons dans l’échelle sociale, plus il existe des règles, des convenances à suivre, qui impliquent inéluctablement aussi des dépenses.
La compétition, le jugement, la pression sociale, ainsi qu’une grande partie du contenu médiatique (dont la publicité) vont nous intimer de rester dans le jeu et d’y investir toujours plus notre énergie, parfois jusqu’à entrer dans la surenchère, et à tenter de maintenir un niveau où nous ne nous sentirons pas jugés. Nous pourrons avec le temps finir par être piégé par les crédits, un emploi qui nous surmène ou ne nous plaît pas, des relations superficielles, des addictions à l’alcool, au jeu, et autres drogues, … sans jamais avoir le déclic de quitter ces engrenages.
Et le comportement de rébellion face aux injonctions implicites de la société n'est qu'un comportement miroir à celui qu'il dénonce. En s'opposant aux règles auxquelles nous n'adhérons pas, nous restons encore dans le même cadre et avons très peu de latitude pour faire évoluer le contexte contre lequel nous nous battons.
Tous les aspects dans notre vie sont régis par ces règles du jeu. Personne n’est épargné. Mais nous sommes tous en droit d’aller chercher d’autres types de jeux, et surtout d’arrêter d’aller assister et supporter ceux qui détiennent les palmes en ce domaine, ou de tenter de les rejoindre.
Ouvrir ne fut-ce qu’un œil par rapport à cela est irrémédiable. Il n’est alors quasi plus possible de retourner aux anciennes règles sans se sentir plutôt mal. Et sortir du jeu devient alors salutaire.
Mais ouvrir le premier œil, n’est pas si simple, car en plus des aspects de conditionnement, hypnose, ou conformisme, nous sommes embrigadés dans quelque chose qui s’apparente au syndrome de Stockholm.
Se trouver dans une situation où notre survie - ou nos privilèges dans une certaine mesure aussi - est menacée, rend incroyablement soumis, au point d'être capable d'approuver ou en tout cas de faire preuve d'une énorme complaisance face aux abus de pouvoir et aux injustices que l'on subit, ou que d’autres subissent tout à côté de nous.
On a appelé Syndrome de Stockholm le phénomène de soumission volontaire des otages vis-à-vis de leurs kidnappeurs, au point de défendre leur cause et refuser de les accuser une fois libérés.
Mais ce phénomène on le retrouve dans toutes les situations où la survie (même indirecte et sur le long terme) est en jeu.
Et elles ne manquent pas : l'esclave face à son maître, la prostituée face à son maquereau, l'ouvrier ou l'employé face à certains patrons (qui ont pouvoir de le licencier, et donc de lui retirer ses moyens de subsistance), le patient face à certains médecins, la femme battue face à son conjoint, les enfants maltraités face à leurs parents et toute autre situation de violence et maltraitance dans les institutions : maisons de retraite, pensionnats, hôpitaux, prisons, instituts psychiatriques et autres centres pour personnes invalides, handicapées, malades, .... ainsi que dans les cas de harcèlement au travail, à l'école, sur les réseaux sociaux, etc.
Dans toutes ces situations, les victimes acceptent de suivre des règles absurdes, sans les dénoncer, et même parfois en les suivant volontairement, voire en les approuvant publiquement, ou en masquant les plus injustes publiquement, voire en s'opposant fermement à ceux qui les dénoncent.
Et, bien que je ne puisse en donner la preuve, j'ai bien l'impression que par rapport à l'économie actuelle, il s’agit pour partie d’un phénomène similaire, que l’on ne peut pas faire entrer littéralement dans le concept de Syndrome de Stockholm qui lui, implique une agression, et un traumatisme, mais qui en serait relativement proche. Dans le sens qu’on retrouve certaines composantes du syndrome de Stockholm comme l’impuissance, la dépendance, la soumission volontaire, l’adhésion aveugle aux valeurs des dominants, le refus d’agir contre les dominants, une identification aux dominants, l’impossibilité de sortir de ce contexte (vu que c’est le contexte est la société dans son ensemble), le fait que les dominants sont vus comme bienveillants, une hostilité par rapport à ceux qui veulent changer ce contexte.
Sinon, au-delà du conditionnement, de la complaisance, de la lâcheté, du conformisme, comment expliquer cette incroyable soumission de la majorité de la population à un système à ce point incohérent et injuste ?
La complaisance, et le fait que l’argent corrompe, peuvent expliquer que les classes de population les plus aisées puissent suivre le mouvement sans réticence. Et pour les gens des classes moyennes et moins favorisées, il existe également une grande part de manipulation, qui amène à aller volontairement vers ce que l’on aurait fui si l’on en avait une conception éclairée. Mais il est probable aussi que la soumission de la majorité et la participation volontaire soient bien plus liées à une forme d’impuissance, où l’on accepte de collaborer avec ceux qui sont à la source de notre malheur, tout simplement, car c’est le seul moyen de garder la tête hors de l’eau, parce que l’on a été éduqué à fonctionner ainsi, et aussi parce que l’on ignore qu’il y a des alternatives, et que l’on se sent tellement seul et impuissant devant le choix de l’alternative. Il est difficile, dans ces circonstances, de voir clairement les limites entre : la soumission, l'inconscience, la complaisance et la lâcheté ; voire aussi entre l’ignorance et les conditionnements, qui mènent à coopérer de manière si parfaite à ce qui ne fait pas sens.
Tout proche du syndrome de Stockholm, ou du moins ce qui s’y apparente, il y a aussi le phénomène de soumission à l’autorité qui peut expliquer notre inertie et notre participation. C'est Stanley Milgram qui a introduit le concept. Bien que nous nous croyons doté de conscience et de sens des responsabilités en tant qu’adulte, l’expérience démontre que, la toute grande majorité des sujets qui ont participé à son expérience - et cela pourrait être chacun de nous - sont capables d’infliger des tortures non justifiées à d’autres personnes, par simple soumission à l’autorité. L’expérience à fait l’objet d’un livre De Stanley Milgram, en 1974, « Soumission à l’autorité », présentée dans l’article de Wikipedia : [voir Ref 28 : https://fr.wikipedia.org/wiki/Exp%C3%A9rience_de_Milgram] et qui a depuis fait couler beaucoup d’ancre. La société exerce sur nous une forme d’autorité à spectre variable selon qu’il s’agisse de la pression sociale de l’entourage, ou à plus large échelle des normes sociales. Pour rester socialement fréquentable, nous n’avons que le choix de nous y conformer. Nous sommes bien souvent capables de payer de notre intégrité, pour rester socialement accepté. Et comme tout cela se passe dans le registre du non-dit, sous nos radars ; nous ne nous en rendons pas compte, et croyons dès lors en l’honnêteté de nos comportements, alors que nous ne faisons qu’obéir aveuglément à une forme d’autorité sociale qui abuse de nous et peut nous entraîner à participer à ce qui ne nous correspond pas, ou même à ce que nous réprouvons.
En parallèle, même si nous voulons tenter le choix de l’alternative, en tant que citoyen, il est difficile d'aller à contre-courant de l'opinion dominante, soit parce que toutes nos sources d'informations (mass médias, réseaux sociaux, internet) ainsi que notre entourage, perpétuent encore trop souvent le même discours, quasi universel, concordant avec l'économie du profit ; et que même si nous sentons, voyons, percevons que cela ne tient pas la route, nous manquons souvent d’arguments, nous doutons, nous n’avons rien pour baser notre discours. Soit encore parce que s'exprimer face à des gens qui ne comprennent pas, ne veulent pas comprendre, voire, ne veulent pas entendre ; exige une force psychologique qui n'est pas toujours à notre portée, en fonction des circonstances de vie de chacun.
Et puis aussi, parce que bien souvent, nous faisons nous-même partie de la population privilégiée, dans le sens que notre survie n'est pas menacée directement par un manque d'argent et que notre volonté d'aller à contre-courant reste très superficielle. Et qu’ainsi, suivre le courant et rester dans le déni de réalité, l'air de rien, cela nous arrange bien. Nous trouverons souvent plus facilement d'autres causes à défendre que la remise en question de notre propre complaisance dans la société de consommation.
Comme une grande part de tous ces processus fonctionne de manière inconsciente ou semi-consciente, tant au niveau collectif qu'individuel ; déceler ce qui reste non-dit - soit masqué volontairement, soit inconscient - demande tout un apprentissage.
Le début de cet apprentissage commence : soit parce que l’on est mis devant l’évidence par le hasard des circonstances qui nous obligent à voir ce qui était voilé ; soit parce qu’on y est amené par des informations qui nous le démontrent. Cependant cela reste malgré tout très difficile de parvenir à mettre le doigt soi-même sur des incohérences, des manipulations, des non-dits, tant dans le quotidien que dans notre culture, dans l'actualité.
Mais plus on en découvre, plus cela devient accessible, quitte même à deviner, soupçonner. Et cela peut aussi être alors un danger. Car une fois que l’on devient habitué à découvrir ce qui se cache sous les apparences, on peut facilement devenir soupçonneux et se méfier, deviner des mensonges et des erreurs partout, même lorsqu'il n’y en a pas. Il reste donc impératif de garder toujours des doutes, et de se donner les moyens, tant que faire se peut, de vérifier les informations, ou les déductions que nous faisons des faits. Et il n'est pas simple du tout de cultiver le doute sur des éléments qui vont à l'encontre des croyances communément partagées, car la pression sociale sera toujours là, et parfois implacable, pour tenter de nous ramener dans le rang ; ce que les doutes faciliteront.
Cependant, le fait de ne plus accepter trop facilement l’implicite, permet de mettre les mots sur les faits, d’apprendre à poser les questions, de chercher à vérifier, et permet de dénoncer des incohérences d’une manière ou d’une autre ou encore d’éviter des pièges.
Cela permet d’adapter nos comportements de manière de plus en plus cohérente en faisant des choix plus justes, plus honnêtes, plus responsables.
De nombreux domaines dans notre société sont actuellement touchés de plein fouet par la dénonciation des non-dits et comportements implicites (la politique, les entreprises, la finance, les médias, les réseaux sociaux, ainsi que tous les lieux où se vivent les injustices sociales...). Et, peu importe le sujet concerné, mettre des mots sur des abus, des non-dits, des tabous, des dénis, des discriminations, fait partie d'un processus lent à la base, mais qui, une fois commencé, ne peut que se répandre dans la population et finir par faire évoluer les mentalités sans retour en arrière possible.
Car si tout cela existe, c’est bien parce que chacun, laisse dire, laisse faire, se soumet, ou même participe à tout ce qui est problématique. Et il va nous falloir apprendre à ne plus laisser passer cela comme si de rien n’était, ne plus subir, ne plus se soumettre à ces lois-là, ne plus nous montrer complaisant avec ce que nous n’approuvons pas, dans le but de ne pas se faire exclure, ostraciser, de ne pas perdre notre statut ou simplement de ne pas être désapprouvé. Il va nous falloir apprendre à mettre des mots sur tout ce que nous voyons et qui est nuisible.
Et dans ce cadre, à notre toute petite échelle, nous avons la responsabilité, si nous devenons suffisamment conscients : non seulement d'agir en fonction de nos convictions mais aussi, tant que faire se peut, de tenter d’exprimer nos désaccords (sans pour autant chercher à imposer quoi que ce soit) ; et surtout de choisir les voies, les alternatives, qui ne sont plus aux prises avec les dysfonctionnements rencontrés ; et dans les pires des cas, de continuer à accepter quand nous n’avons pas la possibilité de quitter la situation que nous voudrions pourtant voir s'améliorer ou voir disparaître.
Si nous voulons apporter notre pierre à l’édifice d'une société plus saine, nous avons intérêt à nous exprimer quand cela est possible.
Tout d'abord, le fait de dénoncer certaines dérives est déjà parfois un moyen d'en sortir. Car, si ces dérives sont liées à des raisonnements implicites, à des conditionnements inconscients ; mettre ces raisonnements et conditionnements en lumière force le plus souvent alors d'y mettre un terme, car une fois explicités, nos consciences ne peuvent plus les accepter.
Dès lors, toute information mettant des facettes implicites d’une problématique en lumière peut être vecteur de solution.
Mais l'essentiel n'est pas tant de dénoncer, et encore moins de s’exprimer agressivement, ni d'être dans la provocation, ou de rechercher à venger ce qui est injuste. Il s’agit bien plus de rendre visibles tous ces comportements qui vont à l’encontre de nos valeurs en agissant ou s'exprimant de manière à ne plus les laisser avoir autorité sur nous.
Le plus important consiste dès lors à prendre le chemin de l’alternative, de manière explicite cette fois. Et dans certains cas il est très dur de quitter ce qui est connu, de tourner le dos à ce qu’on apprécie pour aller vers la nouveauté qui est plus saine mais pas toujours aussi facile à vivre. Mais à ce jour, je ne connais pas d’autre voie. Nous ne pouvons pas changer autrui, et quand nous essayerons de le faire, nous devrons faire face à une résistance énorme via du déni, de la minimisation, de l’agressivité, de la moquerie. Nous pourrons être ignoré, moqué ou combattu. Cette résistance ne fera que nous éloigner de nos objectifs. C’est donc à nous à opérer le changement, en nous, en ouvrant nos yeux vers d’autres portes de sortie, que celles que nous avions l’habitude de prendre.
Concernant la notion d’opposition, j’ai écrit un article à ce sujet, intitulé « De l’opposition à la non-violence » : [voir Ref F : https://sechangersoi.be/4Articles/Opposition01.htm].
« D'abord ils vous ignorent, puis ils se moquent de vous, ensuite ils vous combattent, et enfin vous gagnez. » Gandhi).
Il va nous falloir apprendre à persévérer pour mettre des mots sur l’inacceptable, quelle que soit sa taille partout où nous le pouvons, mais sans jamais affronter en direct les auteurs d’injustices. Si nous ne sommes pas seuls à nous exprimer, le discours portera, car même minoritaires, nous influençons. Et les médias, une fois encore, ont un rôle de premier plan à jouer pour accélérer ces prises de conscience.
Et agir seul est essentiel, car premièrement, même seuls à s'exprimer, nous pouvons parfois être entendus. Et deuxièmement, nous ne savons pas forcément si d'autres s'expriment en parallèle lorsque nous envoyons un courrier par exemple à un pouvoir public, un média, une association, une entreprise, voire un ministre. L'effet de notre message dépendra de la force de l'argument, la bienveillance de sa présentation, du nombre de personne qui s'exprimeront en parallèle mais dont nous ignorons souvent l'existence, et puis finalement de la capacité ou de la volonté des destinataires à écouter et prendre en compte nos arguments. Comme nous ne pouvons jamais connaître l'effet de ce que nous exprimons, et le contexte dans lequel cela est entendu, il est toujours préférable de s'exprimer si on le fait de manière constructive, plutôt que de garder nos arguments pour nous-mêmes.
Et dans le cadre de la culture du profit plus précisément, nous ne pouvons pas exiger les réformes, mais nos comportements, en rendant certains dysfonctionnements visibles amèneront inéluctablement une amélioration sur le long terme.
Les personnes qui bénéficient des plus grands privilèges, ne pourront pas comprendre tout de suite les métamorphoses qui se produisent dans la société, car celles-ci ne leur apportent a priori que des inconvénients. Et ils tenteront de les empêcher car ils ne verront que les inconvénients que cela leur apporte. Et ils s'opposeront bec et ongles au changement. Cependant, au fur et à mesure que les mentalités évolueront, il leur sera de plus en plus malaisé de persister dans des comportements qui ne seront plus jugés acceptables par une part de plus en plus importante de la population, mais aussi ils finiront par concevoir eux-mêmes ces comportements comme inadéquats.
Mais tant qu’on laissera cela dans les non-dits, on leur refusera la chance de parvenir à comprendre le cœur du problème, et on les empêchera d’évoluer.
Donc, plus nous devenons conscients des enjeux, plus grande est notre responsabilité de ne plus y participer, de nous exprimer, et de créer l’alternative. Et ces situations sont légions.
Et pour mieux illustrer ce processus, je vais reprendre une fois encore l’exemple de l’affaire Weinstein, et du mouvement #MeToo. Le phénomène en cours est le début d'un réveil - au niveau mondial - des femmes par rapport à ce qu’elles ont toujours accepté et subi comme leur lot. Les parties les plus visibles de l’iceberg étant le viol, la prostitution, la violence conjugale et les féminicides. Mais ce ne sont là que les parties les plus visibles et choquantes du phénomène.
Le machisme s’exprime sous des milliers de formes, et le plus souvent de manière insidieuse, non-dite, implicite, détournée, cachée, …. La conférence TEDx, en anglais, de Paula Stone Williams « I've lived as a man & a woman -- here's what I learned » - déjà citée - donne un aperçu très représentatif de ces sempiternels abus de pouvoirs des hommes sur les femmes :
[voir Ref 3 : https://www.youtube.com/watch?v=lrYx7HaUlMY].
Malgré des luttes féministes acharnées dans le passé, les avancées restent bien maigres, excepté le droit de vote, la contraception et le droit à l’avortement, et parfois un peu plus de parité. Et tout à coup nous découvrons (bien que nous le savions déjà toutes implicitement), que les injustices faites aux femmes sont très profondément ancrées dans nos mentalités à tous. Et dans ce contexte, modifier des lois pour amener l’égalité des droits est assez vain (même si pas inutile), car on travaille sur le sommet de l’iceberg, alors que ce qui se cache sous l’eau reste monstrueux.
Beaucoup d'hommes, voire tous, ont également une semi conscience du problème, mais la plupart d'entre eux n'ont pas encore compris les enjeux que ce virage impose et restent complaisants. Mais parmi eux, certains aussi commencent à se réveiller.
Et dans ce cadre, ce sont celles et ceux qui deviennent plus conscients, qui vont devoir à chaque comportement déplacé, de suite réagir et mettre des mots, afin de demander que cela cesse.
Cela peut aller de la galanterie, à la blague graveleuse, à la remarque méprisante, au ton condescendant, à l’agressivité, au jeu de séduction déplacé. Chaque fois que nous nous taisons, cela consiste à encourager à ce que tout cela continue. Cependant, il faut pouvoir choisir le moment et les conditions pour nous exprimer, car cela n'est pas souhaitable si nous mettons en danger nos relations, notre emploi ou tout autre enjeu important pour nous, et que nous ne sommes pas prêts à en subir certaines conséquences. Car il existe des situations que nous ne pouvons pas quitter, ou que nous ne sommes pas encore prêts à quitter. Dans ces situations, mieux vaut rester prudent, tout en préparant des portes de sortie à plus long terme.
L’évolution en cours pour la cause des femmes, va très probablement s’étendre à d’autres domaines, et en particulier, à celui qui est repris dans le présent document : la recherche de profit et de richesse. Et cela fonctionnera de la même manière, en commençant par le sommet de l'iceberg, pour descendre au fur et à mesure vers la base, celle qui touche tout le monde dans son quotidien et pour laquelle nous avons tant de mal à ouvrir les yeux.
Quitter la croissance, cesser de vivre en fonction de l'intérêt de l'argent, arrêter de rechercher les plaisirs que nous permet l'argent, arrêter de consommer, de gaspiller, de polluer, d'engranger, de parader, de satisfaire tous nos caprices, de suivre aveuglément le diktat de la consommation et de la publicité ; oui, quitter tous ces comportement va nous déranger, va mettre psychologiquement notre survie en question, va nous faire peur, très très peur.
Mais ces peurs peuvent déjà très fortement diminuer si nous ne sommes pas seuls dans cette démarche ; cela nous sera également d’un grand soutien, et diminuera les doutes sur le parcours.
Un autre facteur qui va diminuer nos peurs, est celui de la compréhension du non sens de la situation actuelle et du cul-de-sac qu’elle représente, et donc de la justesse du choix de l’alternative. Et c’est cette conscience des enjeux qui nous permettra de nous engager vers cette alternative, et faire un choix du cœur.
Il est alors indispensable d'apprendre à reconnaître nos peurs, à refuser de les dénier, à les regarder en face, à les accepter, à accepter de les traverser et à accepter de ne plus agir en fonction d'elles. Cela ne se fait pas sur simple intention. C’est un apprentissage au quotidien à observer nos pensées, nos émotions, sans les transposer en geste. Pas mal de formes de méditations y mènent, et certaines autres techniques psychologiques, telles celles citées dans mon article « Gestion des pensées, gestion des émotions » en troisième partie :
[voir Ref G : https://sechangersoi.be/4Articles/Gestionpenseesetemotionspage14.htm].
La situation globale actuelle peut être considérée comme terrible face à tous les clignotants au rouge, et aux désastres qui s'annoncent dans tous les domaines. Notre réalité ressemble bel et bien à un appel au pire des pessimismes. Et pourtant, tout n'est pas perdu, et le pessimisme serait le pire choix pour tenter d'arriver à braver tous les obstacles. Il est le meilleur choix pour foncer aveuglément dans le précipice. Je ne pense pas que ce soit ce que nous voulons.
A l'inverse, choisir délibérément l'optimisme lucide en refusant obstinément de se laisser gagner par la défaite et le pessimisme ambiant, est le seul choix qui peut mener à sortir de toutes les impasses qui nous pendent au nez. C'est un choix délibéré à effectuer, car il n'est pas naturel dans les situations les plus difficiles, et il faut donc volontairement s'orienter dans ce sens. Car c'est la seule disposition d'esprit qui peut donner les meilleurs résultats, et nous ne pouvons plus nous permettre de ne pas donner le meilleur de nous-même une fois les prises de conscience réalisées.
Pour éviter tout malentendu : l’optimisme ne consiste pas à attendre que les choses se passent, ou à croire aveuglément en la réussite d’une entreprise sans tenir compte des difficultés et impondérables. L’optimisme implique au contraire une mobilisation de l’énergie qui crée la motivation, la détermination et la persévérance nécessaires à faire aboutir l’entreprise vers le succès. Il est plutôt l’antidote à l’inertie, l’indifférence, le défaitisme, la soumission au destin. Il permet de se relever après chaque chute. Il permet de garder le sourire et l’espoir quand tout s’obscurcit. Il éloigne l’abdication devant les pires obstacles. Et pourtant il permet de garder toujours à la conscience que rien n’est gagné d’avance. Et c’est justement cette conscience liée au choix de réussir qui booste la taille des efforts, et l’endurance quoi qu’il advienne. Et dans les défis actuels auxquels fait face l’humanité, seul l’optimisme nous donnera la possibilité de les relever avec succès. Et vu la taille de ceux-ci, cet optimisme se doit d’être obstiné et collaboratif. Plus les perspectives s’assombriront, plus les obstacles se multiplieront, plus les règles du système nous paralyseront : plus nous auront à booster notre moral et dépasser les conflits pour parvenir à déblayer l’horizon. Sans optimisme, nous sommes assurés de ne pas y parvenir.
Si nous choisissons ce chemin, il nous faudra nous défaire des deux principales attitudes qui ne sont pas des freins aux changements, mais sont bel et bien de réels obstacles aux changements : le recours exclusif au raisonnement rationnel (qui fait l'abstraction du fonctionnement avec le cœur) et le recours systématique aux rapports de force.
C'est le sujet de la cinquième partie de ce livre.
« La manière de penser qui a généré un problème ne pourra jamais le résoudre » Albert Einstein
Pour commencer ce chapitre, j'aimerais partir d'une situation vraiment exemplaire, qui consiste en un engrenage de solutions proposées pour résoudre un problème qui, si elles portent certains fruits, maintiennent le fond du problème totalement intact.
Dans la foulée de la mouvance #BlackLivesMatters qui a pris beaucoup d'ampleur lors de la mort de George Floyd au printemps 2020, les réseaux sociaux ont été pointés du doigt car ils permettent de véhiculer la haine et le racisme en toute impunité. Et leurs dirigeants qui s'enrichissent sur le dos des utilisateurs par l'intermédiaire de la publicité, ne prennent pas assez leurs responsabilités pour arrêter ces faits. La campagne de boycott #StopHateForProfit a donc été lancée par plusieurs associations, et ce sont des multinationales qui ont accepté d'y contribuer en interrompant provisoirement leurs investissements publicitaires sur certains réseaux sociaux afin de faire pression pour que ceux-ci mettent en place des règles très fermes concernant le racisme et la haine sur ces mêmes réseaux et les fassent respecter -
Voilà un exemple typique du mode de raisonnement qui implique encore le problème, et ce à plus d'un titre.
Déjà le fait que ce soit les multinationales qui fassent le travail de boycott en s'offrant une publicité géante au moment d'annoncer qu'elles participent à cette campagne, rend la pression supposée plus que douteuse.
Il me paraît d'ailleurs assez probable qu'il y ait entente, ne fut-ce que tacite ou implicite, entre chacune des multinationales qui participent à cette action et les réseaux sociaux concernés.
De plus, le boycott étant très limité dans le temps, cela implique que la menace est plutôt très légère.
Mais surtout - tout comme pour l'exemple de TF1 en 2004 - la demande par les utilisateurs de réseaux sociaux aux multinationales d'agir à leur place, plutôt que de prendre leurs responsabilités en quittant massivement ces réseaux sociaux ; consiste à donner un message extrêmement clair, à savoir : que les citoyens choisissent de continuer à s'exposer volontairement à toutes les dérives et manipulations qui se produisent sur ces réseaux sociaux, en estimant que ce sont à d'autres de résoudre leurs problèmes.
Et le nom même de cette campagne : « Non à la haine pour le profit », démontre implicitement que tous les utilisateurs sont prêts à ce que l'on fasse du profit sur leur dos.
De plus, quelle que soit l'ampleur des règles qui seront mises en place, il est totalement impossible que des milliards de messages puissent être quotidiennement filtrés afin de savoir s'ils véhiculent du racisme ou de la haine. Les logiciels d'intelligence artificielle et algorithmes pourront bien sûr en stopper certains, voire, stopper d'autres qui ne sont pas racistes mais utilisent des mots similaires. Mais ils seront totalement impuissants face à des messages haineux qui utilisent les non-dits, les insinuations, la manipulation, etc. Et cela d'autant plus, lorsque la haine et le racisme sont dilués le long d'un enchaînement de messages sur un mode de communication insidieux qui, sur le long terme constituent du harcèlement, et font le même effet, voire un effet bien plus dévastateur encore sur ceux qui le subissent, et qui sont dès lors sans défense. Car le racisme ne consiste pas uniquement en des diatribes haineuses, il consiste surtout en l'omniprésence de petits signes, actes, insinuations, en la systématisation du fait de ne pas être pris en compte, ou d’être mis à l'écart ; qui peuvent passer inaperçus pour l'observateur et que l'on ne peut toujours prouver, mais qui sont perçus et ressentis de manière violente par ceux qui en sont les cibles. Et qui deviennent surtout destructeurs par leur répétition, et par le fait même que cela n'est pas explicite et n'est donc dès lors pas perçu, volontairement ignoré, ou encore dénié par les observateurs ; ce qui ne permet pas que cela puisse être reconnu, et encore moins de pouvoir s'en défendre.
A cela il faut ajouter qu'il est impensable de pouvoir envisager une limite claire, qui convienne à tous, concernant ce qui peut ou ne peut pas être dit. Cela veut dire qu'il y aura soit encore des messages qui passeront les filtres et dont l'intention est raciste ou qui seront perçus comme tels par les personnes ciblées, et que d'autres messages non racistes seront eux, injustement stoppés.
Si vos conduites d'eau sont en plomb et que l'eau qui y circule provient d'une rivière polluée, ce n'est pas en mettant une passoire sous le robinet que vous obtiendrez de l'eau potable. Ce n'est pas d'un filtre dont vous avez besoin, mais de changer les tuyaux et d'obtenir de l'eau d'une source, d'un puits ou d'une station d'épuration. Tant que l'on fonctionne à la publicité pour des multinationales avides de profit via des réseaux sociaux qui sont dans l'incapacité totale (et dans l'absence de réelle volonté) de stopper les dérives continuelles qui y sont véhiculées, il est complètement illusoire d'espérer réduire le racisme en faisant appel aux responsables de ces multinationales et de ces réseaux sociaux.
Dès lors, même s'il n'est pas exclu que cette campagne amène de réels changement positifs, ils ne pourront jamais aller jusqu'à la source du problème dénoncé. Car si c'est l'essence de nos mentalités qu'il faut changer, ce n'est pas en utilisant les piliers de cette mentalité pour en changer (multinationales, réseaux sociaux, publicités) qu'on pourra y arriver.
On ne peut pas exiger des gens de ne pas être racistes : c’est tout un processus d’apprentissage à effectuer pour y arriver, car le racisme est inhérent à la culture où il se manifeste. Et en prenant la voie de la prohibition du racisme, on risque même de le faire augmenter (« what you resist persists »), mais de manière bien plus perverse. Et le problème du racisme n'est ici qu'un exemple parmi d'autres. Car dans #StopHateForProfit on pourrait remplacer Hate/Haine, par misère, pauvreté, injustices, inégalités, sexisme. Or c'est justement la mentalité liée au profit elle-même (qui implique la domination des uns sur les autres, et les inégalités)... c'est cette mentalité qui rend possible toutes les conséquences pour lesquelles on se bat.
Cette campagne est donc exemplaire de notre tendance face à tant de dérives dans la société, à y apporter des réponses qui sont elles-mêmes encore imprégnées par l'état d'esprit qui est à la source de ces dérives.
A l'opposé de ce premier exemple, en voici un second qui laisse entrevoir la direction à prendre. Il s'agit d'une expérience intéressante qui a eu lieu en France en 2021. Elle consistait à envoyer 14 personnes pendant 40 jours dans une grotte, isolées du monde.
Voici deux commentaires de participants, recueillis à la suite de cette expérience lors de l'interview présentée dans l’article de la RTBF « Expédition Deep Time : 14 scientifiques passent 40 jours dans une grotte pour comprendre comment l'homme s'adapte pour sa survie » , (2021):
« Lorsqu’on est tous dans la même pensée, il est extrêmement dur de trouver des solutions à de nouvelles situations de vie. Et lorsqu’il y a plusieurs pensées différentes, alors la construction de chacune de ces pensées devient une pensée nouvelle qui permet la vie et non pas la survie, »
« Quand on est dans la coopération, donc dans une volonté d'aboutir, on trouve toutes les solutions. »
Pour trouver des solutions à nos problèmes, il est donc indispensable de sortir de la boîte, quitter nos modes de fonctionnement devenus obsolètes, et le faire dans le registre de la coopération.
Et pour y parvenir, nous devons apprendre à nous libérer de l'état d'esprit problématique actuel dont les deux principaux moteurs sont : la rationalité comme source unique de nos décisions, et le rapport de force.
« La première prison est celle de la pensée mécanique qui fragmente notre vision du monde, nie notre intelligence et notre créativité, réduit notre potentiel et notre être au monde et nous mutile, ainsi que la nature, nous réduisant à de simples matières premières destinées à la machine-argent. Changer de vision est le pas le plus important que nous puissions faire pour transformer nos vies et le monde dont nous faisons partie. La résurgence de l'authenticité passe en premier lieu par la connaissance de la dimension vivante de la réalité et de l'intelligence. »
Vandana Shiva dans son livre « 1% - Reprendre le pouvoir face à la toute-puissance des riches », (2019), Ed. Rue de l’Échiquier
[voir Ref 39 : https://www.ruedelechiquier.net/essais/238-1-.html]
Il existe une série de biais cognitifs dans notre mentalité occidentale concernant notre esprit logique. Tout d'abord, nous nous exprimons et nous nous comportons comme si tous nos modes de pensée reposaient sur des bases rationnelles. Ensuite, nous nous référons à la rationalité comme si c'était le seul moyen d'envisager la réalité via l'objectivité recherchée dans les sciences, via tous les développements technologiques, informatiques et à présent robotiques et d'intelligence artificielle. De plus, lorsque nous défendons un point de vue, présentons une argumentation, supposée être rationnelle, nous sommes rarement conscients que nos raisonnements sont très souvent influencés par beaucoup d'autres facteurs, dont principalement nos émotions.
Et nous nous accrochons à notre logique cartésienne, même lorsque celle-ci nous empêche d'atteindre nos objectifs. Et cette obstination peut nous mener parfois à maintenir, voire même à aggraver ce que nous voulons quitter, par l'effet rebond que cela peut engendrer, ou par notre cécité face à d'autres portes de sortie. Et nous sommes tellement bien conditionnés dans ces schémas que nous persistons à nous fier à certains "experts", même quand ceux-ci nous entraînent sur de mauvaises voies.
L’être humain, même s’il se prétend rationnel ou objectif, l’est souvent bien moins qu’il ne l’imagine. Et cela, tant au niveau personnel que collectif.
Tant que nos comportements, conditionnés pour la plupart, restent dans une certaine norme - plus ou moins élastique selon les milieux et les situations - nous partons du principe que tout le monde pense de manière relativement logique. Chacun se prétend doté de bon sens, et pense tout simplement avoir raison dans la plupart des domaines pour lesquels il s'est forgé une opinion, toujours prêt à penser que celui qui pense différemment de lui, ne comprend pas, manque d'information, est mal influencé ou est manipulé. Et la tendance à vouloir convaincre (voire parfois faire pression) est très fréquente. Et tout qui dévie de cette règle absolue, et qui donc fonctionne ouvertement en dehors d'une pensée cartésienne - consciemment ou inconsciemment - est étiqueté de fou, ou considéré comme marginal, excentrique, sauf dans le cadre de l'art, où tout reste permis.
Or, que nous le voulions ou non, tous nos raisonnements sont teintés par notre psychologie (intentions, conditionnements, croyances, impulsions, émotions, ….), et cela est la plupart du temps inconscient.
Pour mieux le comprendre, voici une petite conférence TEDx « A la découverte de notre cerveau » donnée par Albert Moukheiber (2016), qui l'explique de manière limpide avec des exemples très interpellants :
[voir Ref 16 : https://www.youtube.com/watch?v=u_soKgjGzrU&list=RDCMUCsT0YIqwnpJCM-mx7-gSA4Q&start_radio=1].
La pensée humaine, celle qui fonctionne naturellement, automatiquement, inconsciemment, au sein du cerveau de chacun de nous, n'est jamais questionnée. Nous considérons pour acquis qu'elle est saine ; ce qui nous entraîne à répéter, perpétuer, réitérer toutes les pensées erronées, tous les automatismes de pensée dysfonctionnels, comme si de rien n'était. Et ainsi, notre propre manière de penser peut nous enfermer et rendre impossible de pouvoir nous ouvrir à d'autres modes de pensée.
Stéphanie Brillant, dans son livre : « L'incroyable pouvoir du souffle » (2021), Ed. Actes Sud, résume cela dans la citation suivante :
« Le grand problème de la pensée, c’est que si on ne l’arrête pas de temps en temps, on pense toujours la même chose, on devient vite un disque rayé ! »
Notre civilisation fonctionne en effet bel et bien comme un disque rayé, où nous nous étonnons de répéter l'histoire, sans trop savoir pourquoi.
La créativité, l'intuition, l'imagination, les émotions et sentiments peuvent tous fonctionner hors de la pensée, et il est dès lors nécessaire de pouvoir sortir de notre mental pour mieux nous comprendre, pour devenir plus conscient, pour mieux gérer chacune de ces aptitudes.
Toujours selon Stéphanie Brillant :
« ...à trop penser on s’empoisonne. »
Plus souvent qu'on ne l'imagine : notre mental nous trompe.
Dans ce contexte, ceux qui se prétendent les plus objectifs, le sont souvent le moins. Et chacun se construit un masque de normalité derrière lequel il cache ses travers ou penchants moins avouables et qui, en général, ne correspondent en rien à de la rationalité.
La physique quantique interpelle sur la fiabilité
de nos raisonnements rationnels :
Les découvertes scientifiques du siècle passé
en physique quantique nous font un sacré pied de nez pour nous interpeller
lorsque s'impose le fait que le résultat de l'expérience est influencé par
l'observateur. Une très belle explication à ce sujet peut se trouver sur
le net à la page (en anglais) :
[ voir Ref 7 : https://www.youtube.com/watch?v=5WV1SMoVYDM] :
ou via tout moteur de recherche avec la mention « what the bleep
entanglement ».
Ce qui, à l'échelle des particules est devenu une évidence, ne l'est pas
pour autant à l'échelle humaine. Mais il devient possible de concevoir,
que notre vie concrète, matérielle, n'est que le reflet des constructions
mentales qui président nos pensées, nos émotions et nos comportements. Ce
ne sont pas tant nos pensées qui se reflètent dans la réalité que nos intentions,
nos émotions, et surtout nos croyances, qui toutes, donnent la direction
à nos pensées.
Et, au gré des circonstances, ce n'est pas tant, la cohérence de nos pensées, que les autres types de fonctionnements mentaux, qui vont se conjuguer d’une manière ou d’une autre, à notre insu, pour guider ou malmener nos décisions.
En réalité, comme il est rare que nous prêtions attention à la source de pensées qui guident nos choix, nous supposons tout simplement que nous fonctionnons de manière logique, cohérente, et que c’est la « raison » qui guide nos pas. Or ce n'est très souvent pas du tout le cas, et nous avons du mal à le reconnaître, excepté peut-être dans le cas du sentiment amoureux pour lequel nous nous retranchons derrière les adages « l’amour est aveugle » ou « l’amour a ses raisons que la raison n’a pas » ; ou encore dans le cas de l'emportement, quand, après coup, nous nous excusons en disant que « nos paroles ont dépassé notre pensée » ; quand en fait, ce sont nos émotions qui ont biaisé nos pensées qui ont été traduites en mots.
Nous pouvons donc avoir différents modes d'interprétation de la réalité, selon notre état émotionnel, mais la plupart du temps, nous faisons fi de cet aspect et croyons être cohérents et stables dans nos pensées. Certains hommes vont même se prétendre plus stables et rationnels dans leurs pensées que les femmes, en l'expliquant par l'aspect hormonal qui touche ces dernières mensuellement et lors de la grossesse, ou encore en répétant la sempiternelle sentence que les femmes sont plus émotionnelles. Alors qu'en réalité l’aspect hormonal permet aux femmes d'être nettement plus conscientes de l'instabilité de leurs pensées pendant ces périodes mais aussi en dehors ; ce qui est nettement moins accessible pour les hommes qui ne sont pas épargnés par ce phénomène.
Et s'il arrive qu'au niveau personnel, nous soyons ma foi tout de même prêts à admettre que les « raisons » qui président nos actions, ne sont pas toujours si rationnelles que cela ; nous avons à l’inverse tendance à penser que le fonctionnement de la société dans laquelle nous vivons (je parle de la société occidentale ou capitaliste qui a colonisé en grande partie presque toutes les communautés dans le monde) est elle, bel et bien organisée sur des bases rationnelles. Les législations, les connaissances scientifiques, l'économie, les systèmes sociaux, les infrastructures, et toute l’administration que cela implique à tous les niveaux ; sont d’une extrême complexité et sont basés principalement sur la technologie et sur une apparente rationalité. Et nous supposons que nous vivons dans une forme de démocratie, où nos représentants se réunissent pour gérer, décider, et faire évoluer toute cette complexité, à tous les niveaux.
Pourtant, dans tous ces domaines, la rationalité n’est qu’apparence, ou du moins, les décisions et l'organisation de cette complexité ne sont qu'en partie dictées par des raisonnements cohérents. Car dans beaucoup de cas de figure, derrière des décisions et organisations fondées sur des bases relativement cohérentes, se cachent aussi beaucoup de moyens issus des désirs, pulsions, erreurs, ignorances, incompétences, caprices, abus, corruptions de ceux qui en sont à l'origine.
Dès lors, même si à certains niveaux, les décisions, idées, opinions ou recherches sont fiables, leur concrétisation peut parfois s'avérer passablement douteuse. Et lorsque s'y mêle la complexité de tout le système, c'est-à-dire la combinaison de toutes ces concrétisations : les erreurs, manquements, et dysfonctionnement sont partout, même s'ils ne sont pas toujours visibles, ou pas assez importants pour constituer un réel handicap pour la collectivité. Tous les chemins mènent à Rome. Certains prennent les autoroutes, d'autres les chemins de campagne, mais nombreux sont ceux qui font pas mal de détours, et dans certains cas même, font trois fois le tour du globe avant d'arriver au but. Et malheureusement certains n'arrivent jamais. Nous ne voyons en général que ceux qui arrivent à destination, sans nous rendre compte que certains se perdent passablement en chemin.
Et cela a pour conséquences des injustices et inégalités, des accidents et catastrophes, des absurdités, des destructions ; même si, en surface, tout semble fonctionner. Mais sur le long terme tout cela ne pourra perdurer. Car en de nombreux lieux, ce sont surtout les fondations qui manquent de cohérence.
Prétendre apporter des solutions par la rationalité peut donc bien souvent consister à satisfaire des motivations inconscientes que nous allons colorer par des raisonnements qui ont l'apparence de tout ce qu'il y a de plus cartésien. De la sorte on peut faire passer des mensonges, de la manipulation, des erreurs, comme des solutions toutes rationnelles.
On peut citer aussi l'exemple de l'inventivité prodigieuse dans le domaine de l'armement et des stratégies de guerre. Les êtres humains ont inventé les pires horreurs dans les domaines de l'armement nucléaire, chimique, biologique, sous prétexte bien souvent de se défendre, alors que de telles armes ne consistent en rien en une défense puisqu'elles tuent massivement principalement des innocents, et que leur utilisation ne peut être le fruit que d'une tendance belliqueuse ou d'une inconscience monstre. Et on trouvera toujours une bonne cause pour justifier le pire, ou encore on mettra en évidence l’humanité, la camaraderie, la solidarité, l’héroïsme, ou la générosité inespérée dans les gestes qui peuvent accompagner l’horreur, afin de l’atténuer ou de la masquer.
C’est le cas de l’exemple qui suit et qui a fait la
une dans les médias en juin 2023. La vidéo montre l’exploit réalisé à l’aide
d’un drone ukrainien pour sauver le dernier survivant dans une tranchée
russe. Ceux qui commandent le drone sont sensibilisés par les appels de
détresse mimé par le soldat russe. Et plutôt que de l’anéantir comme tous
ses compagnons qui jonchent le sol, le drone va guider son chemin pour rejoindre
le camp de base ukrainien afin de se rendre et de survivre. Quelle humanité !
diront les spectateurs. Alors qu’en réalité, les drones ont tués tous les
autres soldats, et l’armée utilise la vidéo prise par l’appareil pour se
racheter auprès de la population.
On est ici au cœur du total non sens de la
guerre : le sauvetage d’un soldat ennemi qui supplie qu’on le laisse
vivre, fait la une, comme si, après avoir massacré tous les autres, on avait
fait une bonne action. La vidéo a été publiée par le Washington Post en
juin 2023 et a été relayée par les médias occidentaux.
[Source : https://www.youtube.com/watch?v=n2W8yRa9XuA&t=7s]
On en arrive à une forme de télé-réalité de
l’horreur. Car pour sûr, cela fait vibrer ceux qui regardent. Pourtant tous
les corps déchiquetés dans les tranchées, l’ont bien été par ceux qui conduisent
le drone qui va sauver le dernier. Or, tous les soldats envoyés dans les
tranchées le savent : aller sur le champ de bataille n’est pas échappable
puisque s’ils refusent, c’est leur propre camp qui les tue. Le téléspectateur
en Europe, aux USA, va donc se réjouir de la bataille gagnée, s’attendrir
sur le soldat sauvé, et être fier ou admirateur ou reconnaissant de l’armée
ukrainienne, en oubliant totalement la réalité de tous les morts que cela
aura coûté, des deux côtés.
Notre culture, en Occident, et en particulier la culture du profit est bel et bien elle aussi basée sur des biais de raisonnement. Elle est affichée comme le résultat d'une démocratie, ou d'une économie de marché, alors qu'elle a été développée pas à pas par des gens qui ne visent que leurs propres intérêts et qui ont réussi à jouer de leur pouvoir et de leur influence dans le but indirect que tout le monde participe à servir leurs intérêts qu'ils ont fait passer pour justes, raisonnables et honnêtes, alors que c'est en réalité tout le contraire. On ne pourrait même pas dire qu'ils agissent en toute mauvaise foi. Leur système de croyances permet en effet de penser que ce qu'ils ont construit est juste, raisonnable et honnête, pour la caste à laquelle ils appartiennent, sans être capable de tenir compte des autres être humains, des autres êtres vivants, et de l'ensemble de l'environnement, et des générations futures.
Lorsque nous évoluerons en conscience nous ne ferons plus passer pour des choix rationnels ceux qui sont guidés par des intérêts égoïstes, ou sous l’emprise d’émotions négatives, ou encore par réflexe ou instinct.
Cela est très bien expliqué dans le livre de Thierry Janssen « Vivre en paix », (2014)] -
[voir Ref 17 : [https://thierryjanssen.com/pages/vivre-en-paix?locale=fr],
dont l’article de présentation du livre que j’ai rédigé, en reflète certains aspects :
[voir Ref H : https://sechangersoi.be/4Articles/vivreenpaix.htm].
Outre le fait que nous considérons penser de manière raisonnable, nous supposons aussi, et à tort, que le bon fonctionnement de nos sociétés doit être fondé sur la raison. Dans ce contexte, la rationalité, l’esprit cartésien, la logique, le raisonnement, sont considérés comme moyens incontournables pour faire face aux défis et aux situations difficiles que nous rencontrons. Les relations, la communication, les émotions, les sentiments, les désirs, les motivations, l’intuition, la créativité, les pulsions, les événements fortuits ; qui sont pourtant les autres moteurs de nos pensées, de nos intentions, décisions et actions ; sont peu ou pas pris en compte, et parfois même évacués car considérés comme nuisibles - excepté dans le cadre de l'expression artistique.
Or la vie n’est pas affaire de rationalité. Et en déjouant notre nature, nous nous éloignons de nos racines, de notre essence, de la vie elle-même, et nous bafouons la vie autour de nous. Et c'est d'autant plus nuisible, qu'en déniant la place de ces autres facultés, elles se substituent à notre objectivité à notre insu, plutôt que d'être à notre service en les utilisant consciemment.
Dès lors ramener constamment nos conceptions sous le prisme cartésien, nous empêche de comprendre vraiment, tant ce que nous vivons, que le cadre dans lequel nous le vivons.
Et cela commence dès l'école, dans les cours de sciences et mathématiques, où l'objectivité, la logique, les chiffres sont les références incontournables, et où la relativité n'a de place que dans les théories d'Einstein. Nous en parlerons un peu plus loin dans le chapitre sur l'enseignement qui reflète tout notre système de pensée rationnelle, et ses failles, dans un cadre éducatif qui fait souvent défaut.
Cela continue dans l'économie qui n'est pas au service de l'humain. Toute la production, tout le commerce, fonctionnent selon ce qui peut être chiffré : les quantités produites, leur poids, leur durée de vie, leur prix, la distance qu'il faut parcourir pour leur transport, les dates de péremption, la proportion des ingrédients et adjuvants, le nombre de calorie, vitamines, oligo-éléments et autres mesures, la puissance des moteurs, le nombre d'années de garantie, le nombre d'employés, la taille des salaires, le nombre de jours de congés, le nombre de jours de maladie, ...
et bien sûr les nombres du chiffre d'affaire, des rendements, des bénéfices, des dividendes : du profit.
Et ce qui n'est pas chiffré : n'est tout simplement pas réellement pris en compte. Même les "ressources humaines" vont chercher à chiffrer et coder les données : âge, années d'expériences, nombre de diplômes, résultats des tests de QI ou de personnalité.
Si l'humain fait bien partie du titre du département, sa valeur est tout simplement balayée par le mot ressource qui ne fait rien d'autres que de matérialiser, et donc chiffrer le bétail humain mis à la tâche.
Quand une entreprise n'apporte pas de chiffres, elle n'est pas jugée viable ou utile à la société, ou on se chargera de lui annexer toute une batterie administrative pour chiffrer et transformer en données ce qui pourtant, par essence, n'est pas objectivable. Les bienfaits pour l'humain ne font pas partie de l'équation, excepté lorsqu'ils peuvent être traduits en monnaie sonnante et trébuchante comme dans l'industrie du divertissement par exemple. Même les maisons de retraite qui devraient avoir pour but essentiel le bien-être des personnes âgées, sont devenues en majorité des entreprises commerciales dont le but essentiel est le profit, au prix du nombre des membres du personnel et de la qualité des services, qui mène si souvent à des situations de maltraitance par négligence. Plus de détails à ce sujet sur la page :
Nous avons perdu de vue que l'économie est au service de l'humain. Et plutôt qu'utiliser l'argent à échanger des fruits contre des légumes, nous avons créé tout un système basé sur les chiffres, la comptabilité, les mathématiques, les statistiques, probabilités, logarithmes et Cie, bardés de diagrammes, pourcentages, dividendes, intérêts, cotations, valeurs, changes, spéculations. Toujours des chiffres en veux-tu en voilà. Seules les valeurs chiffrables comptent, les valeurs de cœur ayant été évacuées du scénario. Ce sont non seulement des souffrances et des destructions qui en sont la résultante, mais c'est la vie elle-même que nous sommes en train de décimer.
Le PIB (Produit Intérieur Brut) étant l'ultime reflet de cet état d'esprit qui permet que, quand une guerre fait des dégâts, cela fait augmenter le PIB car le commerce que générera la reconstruction, créera de l'emploi et permettra de faire tout simplement du profit. Et cela vaut également pour toutes les catastrophes, pour les embouteillages, pour les productions polluantes, inutiles, nuisibles.
La rationalité n’est pas nocive en soi, loin de là. Elle est même indispensable, mais il est préférable de la conjuguer avec d’autres compétences et d'éviter d'en faire un usage exclusif. Elle n'est qu'un outil parmi d'autres. Pour que nos raisonnements basés sur la logique puissent être utilisés à bon escient il est nécessaire que ce soit la conscience qui soit aux commandes. La conscience est au-delà de nos pensées, et plus elle est éveillée, plus elle est guidée par le cœur.
Vandana Shiva dans son livre « 1% - Reprendre le pouvoir face à la toute-puissance des riches », (2019), parle de pensée mécanique et de fondamentalisme technologique - ce qui correspond à ce recours systématique à la rationalité. Elle décrit les conséquences de ce type de pensée :
« La pensée mécanique est aussi une pensée militarisée. Elle s'appuie sur la violence et l'engendre. Elle est ontologiquement violente, car elle déclare la nature morte ; elle est épistémiquement violente, car elle détruit notre capacité à penser et à agir en tant que parties intégrantes de la nature, à en être les cocréateurs non-violents ; elle est écologiquement violente, car par son ignorance, elle perturbe les processus qui maintiennent les organismes, les écosystèmes et la Terre même en vie ; elle est socialement violente, enfin, car elle est aveugle au savoir vivant des femmes, des paysans et des cultures indigènes et qu'elle le proscrit, un savoir dont le monde entier a pourtant cruellement besoin pour soigner la planète et la société. La pensée mécanique est une pensée privatisante, elle contribue à annexer les biens communs de la nature, ceux de la société et ceux de la connaissance à travers la biopiraterie. Tout en s'appropriant, en piratant et en brevetant le savoir traditionnel, elle édifie un mur artificiel ou "frontière de la création". Ce savoir est alors présenté comme une "innovation", ou une "invention" et privatisé à coups de brevets. »
Vandana Shiva pointe également cet aspect dans le cadre de la fuite en avant du développement technologique, induite par la commercialisation à tout crin :
« Non seulement le fondamentalisme technologique réduit la raison d'être de la technologie à de simples outils industriels et violents, mais il inverse la relation moyens-fin. Le déploiement et l'utilisation des technologies industrielles ne sont plus un moyen d'arriver à des fins écologiques, éthiques, sociales et humaines plus élevées, ils sont devenus une fin en soi, une nouvelle religion. »
[voir Ref 39 : https://www.ruedelechiquier.net/essais/238-1-.html]
Tant que nous fonctionnerons dans un monde où chacun se croit rationnel, et où la rationalité fait référence - et ce sont les deux facettes d'une même pièce - nous ne pourrons que creuser toujours plus avant tous les dysfonctionnements que pourtant nous dénonçons.
A force de croire que nous pensons toujours rationnellement, et de vouloir utiliser cette supposée rationalité dans tous les aspects de la vie, nous nous leurrons lourdement.
L'une des dérives les plus courantes de l’utilisation biaisée de la rationalité, est liée au fait que, bien souvent nous y faisons appel pour résoudre un problème en surface, un peu comme un pansement sur une plaie non désinfectée, plutôt que d’aller tarir la source du problème.
C'est aussi le cas typique de l'antidouleur (ou autre médicament) utilisé pour effacer le mal, alors qu'on se contente de masquer une douleur sans aller à la source du dysfonctionnement qui l'a causée. Et sournoisement, derrière, peut se développer la pathologie qui peut mettre en danger notre santé dans le futur ; avec de surcroît dans certains cas, les effets secondaires sur le long terme du médicament en question.
La logique à la base de cette attitude semble implacable : douleur - antidouleur. Et nous aurons la science avec nous pour prouver que l'effet du médicament est prouvé de manière statistiquement significative, et justifier la solution miracle : rapide, efficace, sans besoin de chercher midi à quatorze heures. Et nous sommes capables d'appliquer ce type de réponse, en apparence logique et cohérente, à la majorité des obstacles qui nous font face.
Il s'agit juste d'un exemple assez représentatif, de l'usage de la rationalité déconnectée de nos émotions, de nos sentiments, de l'intuition, de la créativité et d’une forme de sagesse liée à l’expérience et au savoir. Et cela vaut pour tous les domaines. Prétendre se focaliser sur la rigueur, la logique, l'objectivité de la science, ne mène pas forcément aux réalisations ou solutions les plus efficaces et les plus durables.
Les véritables trouvailles pour dépasser des obstacles, résoudre des différends, sont souvent très surprenantes, et même très simples, et il est impossible de les imaginer à partir de raisonnements purement logiques. Car l'utilisation de la rationalité en évacuant les aspects plus sensibles de notre humanité va nous pousser à focaliser sur les aspects visibles ou superficiels, sans être capable de prendre de la perspective et de comprendre tout le contexte. Et l'étude rigoureuse de ces aspects superficiels, aussi complexe et poussée soit-elle, ne mènera probablement pas à ce qui a généré la situation, excepté s'il s'agit de causes purement mécaniques.
Dans le cadre de la culture du profit, du réchauffement climatique, de la domination masculine, nous risquons de faire du surplace tant que nous nous contentons de chercher uniquement des solutions mécaniques, telles que des lois, des droits, des obligations et des interdictions, ainsi que des inventions technologiques. Nous pourrons au mieux créer des réalités telles que celles décrites dans les livres « Le meilleur des mondes » de Aldous Huxley, (1932) :
[voir Ref 18 : https://www.lisez.com/livre-grand-format/le-meilleur-des-mondes/9782259221269]
ou « 1984 » de George Orwell, (1949) :
[voir Ref 35 : https://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Du-monde-entier/19842].
Et tant que nous ne sommes pas capables de décaler nos modes de pensée, nous ne serons pas en mesure d'avoir accès aux solutions du cœur, en étant tout simplement incapables de les imaginer, voire même de comprendre en quoi elles consistent.
Elles existent pourtant mais ne sont pas encore utilisées à grande échelle ; bien qu'on puisse les rencontrer plus souvent au niveau très local.
Pour mieux comprendre, prenons par exemple le cas de deux voisins qui tentent de régler un différend concernant la mitoyenneté de leur jardin. Plusieurs possibilités s'offrent à eux : le conflit ouvert, voire même le recours à la justice, le conflit latent où on ne s'adressent plus la parole et où on reste dans le statu quo, donc sans solution, ou encore le choix d'une solution cartésienne au moyens de mesures, de comparaisons, etc., où chacun fait des concessions - en calculant bien qu'elles soient équilibrées pour que personne ne se sente floué. Toutes ces attitudes et solutions sont basées sur la rationalité : le calcul, la comparaison des droits de chacun, ou encore le recours à la loi, la justice, le rapport de force. En quittant tous ces registres, et en communiquant, il se pourrait qu'ils parviennent à décider de partager leur jardin, par exemple, en le dessinant autrement, en l'occupant ensemble, ou en alternance, voire encore d'autres solutions bien plus créatives que je ne peux moi-même imaginer en ce moment. C'est le choix que font par exemple, les citoyens qui décident de créer un habitat groupé, en décidant de mettre en commun toute une partie de leurs biens privés, sans que cela n'affecte leur intimité.
Tout cela n'exclut pas la partie rationnelle, mais ouvre, avant tout, la voie à d'autres modes de pensées plus proches du cœur.
Un autre facteur d'échec ou de contre-productivité - lorsque l'on veut faire usage de la raison sans faire appel à d'autres facultés - est lié au pouvoir de conviction de celui qui défend sa cause par la raison. Dans le cas d'un dysfonctionnement collectif, quelle qu'en soit l'échelle (famille, entreprise, région, nation, ....) lorsque quelqu'un fait une proposition de type rationnel en vue de sa résolution ; rien ne garantit que cette proposition obtiendra l'aval de sa communauté. Car en général les enjeux ne sont pas du côté de la raison, mais bien du côté des sentiments ou des émotions (rapports de force, peurs, complaisance, ...)
Lorsque nous butons face à une volonté farouche de ceux qui refusent obstinément une proposition de changement de type cartésienne (qui n’est pas de type emplâtre sur une jambe de bois, qui pourrait satisfaire tout le monde, mais dont le moyen d’y arriver n’est pas compris ou fait l’objet de déni ou de résistance) ; il est alors nécessaire d’ouvrir les yeux pour se rendre compte que ce que nous tentons d'apporter n'est pas adéquat. Pas tant intrinsèquement, mais ce que nous proposons n'est pas réalisable du fait même que, dans les conditions qui sont les nôtres (celles de ne pas parvenir à faire entendre le bien fondé de cette solution), nous sommes dans l’incapacité de la mettre en œuvre. Et c’est donc aussi un des aspects où la rationalité ne mène pas toujours aux réelles avancées. Car quand nous proposons des moyens rapides, efficaces, logiques et cohérents, et que nous devons faire face à une multitude d’obstacles qui rendent impossible leur mise en œuvre – qu’ils soient d’ordre pratique ou dus à la volonté d’autres personnes ; c’est que ces moyens, tout rationnels qu’ils soient, ne sont pas adaptés à la situation, et que d'autres, moins logiques peut-être, plus difficiles ou plus lents à mettre en place, ou moins pratiques, sont sans doute meilleurs, car ceux-là aboutiront.
Ce sont les circonstances, notre expérience, notre intuition, qui pourront nous permettre de faire le choix entre une solution rationnelle qu’il faut persévérer à proposer, et qui pourrait, mais sans garantie, finir par être adoptée, ou une solution alternative, qui exclut probablement la proposition initiale à plus long terme, mais qui a, elle, plus de chances d’être un jour acceptée, et plus rapidement.
Table des matières
PREMIÈRE PARTIE : POSER LE PROBLÈME – QUE SE CACHE-T-IL DERRIÈRE LES MOTS DE L'ARGENT ET DU PROFIT
B) RICHESSE ET PAUVRETÉ FONCTIONNENT PAR VASES COMMUNICANTS DE MANIÈRE SYSTÉMIQUE
C) L'ARGENT - LES RÔLES INDIRECTS ET DÉTOURNÉS QUI LUI SONT ATTRIBUÉS
1. Moyen de subsistance, et bien au-delà
2. La reconnaissance et son exploitation commerciale
3. L'argent n’est pas neutre – pouvoir et autres dérives
D) LE CONCEPT DE PROFIT ET LES VALEURS QUE CELA SOUS-TEND
1. Profit équitable ou profit abusif
2. L'indécence des dividendes - quelques données chiffrées
E) LES CONSÉQUENCES DU PROFIT ET DES RÔLES INDIRECTS DE L'ARGENT
1. Les conséquences matérielles de l'appât du gain
a - les dérives dans l'industrie : quand la fin justifie tous les moyens
b - Répartition inéquitable de l'argent - Les écarts de richesses
2. la classe la plus riche, de loin la plus destructrice
F) LES CONSÉQUENCES DE L’APPÂT DU GAIN SUR LES MENTALITÉS
2. L’argent corrompt et pervertit
3. La course pour grimper vers plus de richesses
4. La complaisance des consommateurs
G) LES CROYANCES IMPLICITES CONCERNANT L'ARGENT
1. L'argent doit être une ressource limitée
2. Il faut travailler pour gagner sa vie
3. Les gens riches sont plus heureux
4. La richesse se mérite, donc implicitement la pauvreté aussi
5. Il faut travailler dur pour bien gagner sa vie
7. L'augmentation du coût de la vie, l'inflation, la dévaluation de la monnaie
8. Être riche ne nuit à personne
9. En économie, ce qui est légal est moral
10. L'économie c'est une science, complexe - il faut se fier aux experts
11. Ce sont les politiques qui détiennent le pouvoir
12. La croissance est bonne pour l'économie
a - Effet logarithmique de la croissance
b - Empreinte écologique et jour du dépassement
H) LES PRINCIPAUX VÉHICULES DE LA CULTURE DU PROFIT
2. Les médias de l’information
4. Les médias du divertissement et en particulier, la télévision
B) LES ALTERNATIVES QUI RESTENT A LA MARGE
1. Nous ne sommes pas encore prêts
2. Les solutions font encore partie du problème
C) ABANDONNER NOS CROYANCES SUR LA CROISSANCE, ET BOULEVERSER LA LOGIQUE DE L'EMPLOI
D) DÉCOUPLER TRAVAIL ET ARGENT - L'ALLOCATION UNIVERSELLE
1. Moins de travail à pourvoir
2. Créer la motivation à travailler
4. Financement de l'allocation universelle
5. L'allocation universelle donnerait du pouvoir à ceux qui actuellement n'y ont aucunement accès
E) DÉCOUPLER L'ARGENT DE LA RECHERCHE DE PROFIT
1. Créer une économie qui n'est plus régie par l'argent
- Le rôle des initiatives citoyennes
2. Une seule initiative et l'effet boule de neige
3. Construction de la nouvelle tour
4. Quelques exemples de changements concrets à venir dans la société
a - La démocratie participative
e - Les entreprises démocratiques se multiplieront, voire se généraliseront
F) DIMINUTION DU RÔLE DE L'ARGENT
2. Le vrai rôle que devrait avoir l'argent
a - Réduire l'utilisation et le rôle de l'argent
b - Apprendre à échanger sans compter
c - La diminution de l'importance de l'argent dans nos vies
TROISIÈME PARTIE : LE CONTEXTE DU CHANGEMENT
B) AMENER LE VIRAGE POLITIQUE VIA LES MOUVEMENTS CITOYENS
C) BALANCE A PLATEAU : ALLER VERS L'ALTERNATIVE
D) NOS PETITS PAS INDIVIDUELS SONT CAPABLES DE GÉNÉRER DE GRANDES MARRÉES CITOYENNES
E) PROFILS DE CITOYENS : LES CONDITIONS POUR CHANGER
QUATRIÈME PARTIE : LE CHANGEMENT DU NIVEAU DE CONSCIENCE
1. Qui est en premier concerné
2. De quel changement individuel parle-t-on : tout d’abord, dans le concret
a - La responsabilité d’agir même si on est seul à le faire
b - Et si la notion de goutte d'eau dans l'océan s'avérait totalement fausse ?
c - Cesser de leur donner du pouvoir
d - Liberté - autonomie - solidarité
b - Conscience et technologies
c - Conscience et solutions nouvelles
d - Dénouer les nœuds qui sont dans nos têtes
e - Changer la couleur de nos lunettes : changer notre mode de pensée
f - Bousculer l'édifice de nos croyances
g - Saut d'évolution de l'humanité
4. Dépasser les freins au changement :
a - Sous hypnose : nos doutes, notre passivité, notre conformisme, notre lâcheté
c - La difficulté d'aller à contre courant – la soumission à l’autorité de Milgram
d - Mettre des mots sur ce qui est implicite afin d’en éviter les incohérences
e - Quitter notre mentalité va nous faire peur
f - Le choix du pessimisme sous prétexte de réalisme
A) QUAND NOS SOLUTIONS MAINTIENNENT LE PROBLÈME TOUT EN LE RENDANT MOINS VISIBLE
B) PRIVILÉGIER LES RAISONS DU CŒUR AU RAISONNEMENT CARTÉSIEN
4. Notre recours à la rationalité nous mène souvent en bateau : une atèle sur une jambe de bois
5. Une solution qui ne porte pas - toute rationnelle qu'elle puisse être - n'est pas une solution
8. Notre incapacité à gérer correctement nos découvertes et inventions scientifiques
9. De nouvelles références pour guider nos choix
a - En quoi consiste le rapport de force ?
b - Lâcher le rapport de force
c - Nous fonctionnons dans le rapport de force comme nous respirons
d - Les enjeux du rapport de force ou de son absence
e - La violence n'est jamais loin du rapport de force, la non-violence non plus
f - Comment les rapports de force imprègnent toutes nos conceptions
i La mentalité basée sur le rapport de force
ii Notre incapacité à envisager les conflits en dehors du rapport de force
iii Une société de dominants et de dominés : le rapport de force est partout
vi rapport de force et confiance en soi
vii rapport de force et libre arbitre
g - Comment les rapports de force définissent notre vie sociale et nos dépenses
ii Les sphères d’influence sociales, culturelles et commerciales
iii Rapport de force dans le cadre professionnel
iv Rapports de force et monde virtuel – école de narcissisme
vi Rapports de force, consommation, et recherche de profit sont foncièrement et intrinsèquement liés
- les comportements de compétition
- les comportements d'exigence
- les comportements de défense de nos privilèges
vii quitter le rapport de force mène à se désintéresser des richesses et de la consommation
h - Rapport de force à l'échelle collective
3. Connaissance de soi : notre part d'ombre
b - Rapport de force versus empathie - les deux facettes de l'être humain d'aujourd'hui
i Ambivalence des comportements
- l'attitude face aux inconnus
- l'attitude face à l'entourage
- Un interrupteur dans la tête et l'apprentissage de stratégies pour y remédier
iv découvrir les effets de l'interrupteur
v apprendre à gérer l'interrupteur
vi la gestion de l'interrupteur sur la durée
vii Accepter notre part d'ombre c'est accepter celle des autres
c - Le capitalisme exploite notre part d'ombre
d - La part d'ombre et le rôle des citoyens en transition
e - La part d'ombre et le rôle des crises
f - Facteurs favorisant ou non la propension à utiliser le rapport de force
h - Evolution personnelle et déni de réalité
i Fuir totalement l'actualité nous fait perdre contact avec la réalité
ii Quand utiliser la loi de l'attraction devient magique
iii Évoluer dans un monde de bisounours
4. Quitter le rapport de force - accueillir notre part d'ombre via un réel travail psychologique
a - L'étape incontournable : commencer par reconnaître notre part d’ombre
b - Part d’ombre et rapport de force
d - Les attitudes mentales à privilégier
iii Faire évoluer les demandes et propositions en traversant les échecs, en apprenant de nos erreurs
e - Se mettre dans la bonne disposition d'esprit
iv Exploiter l’émotion sans agir sous son emprise
v Une forme de connaissance de soi
vii La présence de doutes dans la confiance
viii Le respect et la bienveillance absolue
f - Quand le rapport de force s’éloigne, l’empathie et la solidarité peuvent apparaître
i - Notre part d'ombre est notre alliée
j - La différence entre la compréhension et la conscience
k - Pour prendre de la perspective
SIXIÈME PARTIE : LES FACTEURS D'INFLUENCE DU CHANGEMENT
2. Conscientiser, chercher à influencer : c'est se tromper
3. La réelle influence s'opère loin des discours
4. Notre rôle de colibri et son effet boule de neige
5. L’influence des médias de l’information
7. L’éducation et l’enseignement – y compris le rôle qu’y joue le web
9. Catalyseurs d’un autre genre
d - La contagion de l'altruisme
e - Les champs morphiques (ou morphogénétiques)
f - La transmission de toutes nos pensées et émotions
VERS UNE UTOPIE NON DÉCONNECTÉE DE LA RÉALITÉ
- Un dernier petit coup de pouce
ANNEXE Un détour par la théorie polyvagale
ICI COMMENCE LE DEUXIÈME VOLET DE CE LIVRE